Tumadir a écrit:Voici ce qu'on peut lire dans les premières pages de la Bible de Jérusalem (édition de 2000)(il s'agit de la traduction de la Bible réalisée sous la direction de la très catholique Ecole biblique de Jérusalem) :
"L'analyse de la forme définitive des textes – la seule à laquelle nous ayons accès – montre que l'unification rédactionnelle a beaucoup apporté à la formulation définitive" (p. 16)."… on préfère aujourd'hui parler de deux traditions dont l'ensemble a été élaboré d'une manière progressive, si bien que l'on peut trouver des passages très tardifs au milieu de passages beaucoup plus anciens" (p. 17).
Les commentateurs chrétiens de la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB) écrivent à propos des livres de l'Ancien Testament que "avant de recevoir leur forme définitive", ils"ont circulé assez longtemps dans le public et portent les traces des réactions suscitées par les lecteurs, sous forme de retouches, d'annotations, voire de refontes plus ou moins importantes" (Traduction Œcuménique de la Bible, édition de 1975, pp. 10-11, cité dans Moïse et Pharaon, les Hébreux en Egypte, pp. 34-35).
Les commentateurs de la Bible de Jérusalem écrivent, à propos du passage parlant des Nephilim (Genèse 6/1-4) : "L'auteur semble utiliser une tradition populaire à caractère mythologique" (p. 26).
A propos du récit de la tour de Babel : "Récit fait de l'amalgame de plusieurs traditions"(p. 32).
A propos de la mention de la mort de Moïse à la fin du Deutéronome : "Ces chapitres forment une sorte de conclusion générale à l'ensemble du Pentateuque ; ils regroupent des éléments d'origine et d'âge divers, qui ont été rattachés au corps du Dt lors de la dernière rédaction" (p. 310).
A propos de la mention des Philistins en Genèse 21/32-34, 26/1-8 et en Exode 13/7, les auteurs écrivent qu'il s'agit d'"une anticipation" (p. 344) : le fait est qu'en ce qui concerne la période que ces passages intéressent, les Philistins ne sont pas encore installés dans la région qui est rattachée à leur nom : l'auteur du texte a donc désigné un événement qui s'est déroulé sur le littoral de Palestine des siècles avant lui en utilisant la périphrase en usage en son temps à lui ("pays des Philistins") : c'est ce qu'on appelle un anachronisme.
La même chose peut être dite – mais cela, les commentateurs de la Bible de Jérusalem ne l'ont pas écrit – à propos du passage où on lit que Joseph installa son père et ses frères "dans la meilleure région, la terre de Ramsès" (Genèse 47/11) : l'écrivain a relaté cet événement de l'époque de Joseph (XVIIème siècle avant J.-C.) mais a, pour désigner la région d'Egypte où il s'est déroulé, employé le nom de Ramsès, pharaon de l'époque de Moïse (XIIIème siècle avant J.-C.).
Pour en revenir aux notes des commentateurs de la Bible de Jérusalem : à propos des chapitres 10 et 11 du Livre de Josué : "Ces chapitres diffèrent des précédents et ne s'accordent pas avec d'autres passages du livre ni avec Jg 1, où il apparaît que la conquête fut lente et que chaque tribu eut une action indépendante" (p. 338).
A propos de certains événements présentés par le Livre des juges : "Vue théologique qui ne correspond qu'imparfaitement à l'histoire. A la base du livre, il y a des récits indépendants dont la relation chronologique est établie arbitrairement" (p. 366).
Voici encore ce qu'on peut lire en introduction au livre de Jérémie dans la Traduction Œcuménique de la Bible :
"En plus, l'exégète sera attentif au fait que les ch. 1-25 contiennent, à côté des oracles poétiques, d'une authenticité à toute épreuve, un très grand nombre de passages rédigés dans une prose qui rappelle celle des éditeurs deutéronomistes des livres historiques. Ces passages représentent probablement des oracles de Jérémie retravaillés par des éditeurs postérieurs. Au début de l'exil existaient donc de nombreux livrets, feuillets et recueils épars, et en plus, probablement, quelques traditions orales relatives à Jérémie. Ce sera un rédacteur anonyme, très certainement "deutéronomiste", qui réunira tous ces matériaux en un seul volume" (TOB, édition de 1997, p. 554).
Sur Esdras et Néhémie : "La rédaction actuelle de ces livres laisse plusieurs problèmes historiques encore ouverts. Le premier problèmeconcerne l'interruption de la reconstruction du temple (Esd 4). D'après le texte, cette interruption fut ordonnée par Artaxerxès (465-424) à la suite des plaintes des gens du pays opposés aux Juifs (Esd 4.6-24). Or, la chronologie rend impossible un tel événement. En effet, la construction du temple fut achevée la 6è année de Darius, vers l'an 515 (Esd 6.15). Le passage Esd 4.6-24 concerne des événements de l'époque d'Artaxerxès, c'est-à-dire au moins 50 à 60 ans plus tard. Le rédacteur final du livre semble avoir confondu ces données. Plus complexe encore est le second problème : celui de la chronologie de l'activité d'Esdras et de Néhémie à Jérusalem. L'ordre chronologique actuel du récit parle de l'arrivée d'Esdras la 7è années d'Artaxerxès (Esd 7.7), puis de l'arrivée de Néhémie la 20è année d'un roi du même nom (Ne 2.1). Ensuite, Esdras réapparaît, puis Néhémie, dans un étonnant chassé-croisé. Ne faut-il pas plutôt situer l'activité d'Esdras lors de la seconde venue de Néhémie à Jérusalem ? Au lieu de la 7è année d'Artaxerxès, il faudrait lire alors la 27è ou la 37è année (soit vers 438 ou 428). Ou mieux encore, ne faut-il pas considérer toute l'activité de Néhémie comme antérieure à celle d'Esdras : ce dernier ne serait alors arrivé à Jérusalem que la 7è année du roi Artaxerxès II (et non Artaxerxès I), vers 398-397. Le problème n'a pas encore trouvé de solution satisfaisante" (TOB, édition de 1997, p. 1095).
Max Dimont, l'auteur juif bien connu, écrit de même :
"There are two versions of many, many other events, as the perceptive reader of Old Testament may have noticed. Are we dealing with two versions of the same story, or with two different stories merged into one ?" (Jews, God and History, New American Library, 2nd edition, p. 28).
"The final fusion of the Five Books of Moses, called the Pentateuch, occurred around 450 B.C. – in other words, not until eight to sixteen hundred years after some of the events narrated in them took place. Is it not reasonable to suppose that in that period of time [i. e. before 450 B.C.], before there were any written records, many changes and alterations must have occurred as the stories and legends were handed down orally from generation to generation ?" (Ibid., p. 31).
Décrivant cette entreprise de fusion s'étant déroulée vers la moitié du 5ème siècle avant J.C., Dimont écrit : "As a second move toward forging a national religious and spiritual Jewish character, Ezra and Nehemia decided not only to revise the Book of Deuteronomy but to add to it four other Books of Moses. Under their direction, priest and scholar labored diligently to fuse the most important of the divergent Mosaic documents, including the Deuteronomy of Josiah, into the five books of the Pentateuch, namely, Genesis, Exodus, Leviticus, Numbers, and Deuteronomy. All Five Books of Moses were now made divine. From here on, no deletions, changes or additions to the Pentateuch could be made, nor have any been made" (Ibid., p. 63).
Encore faut-il noter que, de ce corpus établi par Ezra, différentes versions vont circuler au cours des siècles qui vont suivre. Il y aura bientôt ainsi :
– la version hébraïque ;
– la version de la Septante, en langue grecque ;
– la version samaritaine ;
– les Targums (= traductions) araméens (comme le Targum d'Onkelos) ;
– les versions syriaques.
Ces versions ne divergent certes pas sur l'essentiel, mais présentent quand même des différences quant à certains chiffres (les âges des patriarches) et certains noms de lieux. A lui seul, le texte hébraïque connaît, au Ier siècle de l'ère chrétienne, différentes versions légèrement différentes : c'est en l'an 90 après J.-C. que des savants juifs fixent la norme. L'introduction de la Traduction Oecuménique de la Bible relate que ces savants "avaient constaté que les manuscrits dont ils disposaient n'étaient pas strictement identiques. Pour remédier à cet inconvénient, ils établirent un texte officiel, en procédant par comparaison de quelques manuscrits existants. Après quoi ils firent détruire les manuscrits non conformes au texte qu'ils avaient retenu. En 1947 cependant on a retrouvé près de la mer Morte quelques manuscrits antérieurs au travail des Docteurs de la Loi (les textes de Qumrân). D'autre part le Pentateuque samaritain, de même que certaines versions anciennes, version grecque dite des Septante, certaines versions araméennes ou Targoums, attestent un état du texte plus ancien. On a pu constater que les différences avec le texte traditionnel étaient pour la plupart de faible portée. Mais dans certains cas ces formes plus anciennes du texte proposent un sens plus clair"(Traduction œcuménique de la Bible, édition de 1997, p. 13).
En tout état de cause, le texte hébraïque officiel, fixé par des érudits juifs en l'an 90 de l'ère chrétienne, sera transmis de génération en génération. C'est ce texte qui sera utilisé par Jérôme pour la traduction latine, qu'adoptera l'Eglise catholique, pendant que les Eglises orthodoxes, elles, continueront à utiliser le texte grec de la Septante malgré ses légères différences avec le texte hébraïque fixé en 90.
Ce dernier sera donc retransmis entre les différentes générations de juifs tel qu'il aura été fixé en 90. Suivant cette retransmission, une édition en 1524 sera faite par Jacob Ben Hayyim à Venise qui deviendra l'édition de référence ; c'est elle que, aujourd'hui encore, toutes les bibles hébraïques suivent. Par la suite, au XIXeme siècle, on a retrouvé dans une synagogue du Caire, un ancien exemplaire de la Torah (Pentateuque et non Tanak) hébraïque massorétique, qui a été daté du IXème siècle après J.-C..
(A ce texte de la Torah – ici dans le sens de Pentateuque – s'ajouteront d'autres textes, que nous avons déjà évoqués :
– les Neviim, qui contiennent le récit et la relation des propos de prophètes envoyés aux fils d'Israël ;
– les Ketouvim, qui sont constitués de recueils de prières psalmiques et de chroniques.)
La question qui se pose ici concerne les documents que Ezra harmonisa : quels sont ces documents ? D'où les tenait-il ?
Il semble qu'il se soit agi de différentes traditions que possédaient différents groupes chez les fils d'Israël revenus de l'exil. C'est bien pourquoi les commentateurs de la Bible de Jérusalem, de même que Max Dimont, parlent d'une fusion entre deux documents à l'origine distincts.
Ce qu'il faut également relever c'est que le texte que, au XIIIème siècle avant J.-C., le prophète Moïse reçut comme Paroles de Dieu sur le Mont Sinaï semble avoir été beaucoup plus court que l'ensemble du texte nommé aujourd'hui "Torah" : ce texte avait pu être gravé sur quelques tablettes de pierre (cf. Livre de Josué 8/32) ; il semble donc qu'au fil du temps, à ce texte gravé sur pierre, furent ajoutés les propos de Moïse ainsi que les jugements qu'il rendit entre les Fils d'Israël au cours de son parcours à leurs côtés ; la Torah a ensuite reçu aussi le récit du déroulement de la mission de Moïse aussi – c'est ce qui explique qu'on y trouve aussi mention de sa mort –, et même plus : les origines du monde, les généalogies de Abraham, etc.