Bonjour à tous.
Je suis actuellement en train de produire une étude portant sur le personnage coranique de ʿĪsā ibn Maryam. Elle s'organise en deux principaux volets, théologique et historique, qui chacun se subdivisent à leur tour en deux parties. Ci-joint ici un aperçu des principaux traits de la première partie du volet historique, traitant de la question de savoir si le Coran est un document historique pertinent pour connaître le Jésus de l'histoire. Après une courte introduction portant sur la nécessité rationnelle à soumettre le Coran à la critique historique, j'expose en quatre principaux points un abrégé d'analyse de la question qui nous intéresse. Pour ne pas alourdir le texte, j'ai synthétisé au maximum ces points mais nous pourrons revenir ensemble pour chacun d'entre eux si besoin est. Bonne lecture à tous !
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Le Coran est un document historique très tardif pour traiter de la vie de Jésus. Six siècles séparent en effet l’événement Jésus de l’apparition dudit livre. Certes, il serait tentant d’arguer du caractère révélé, c’est-à-dire divin, du Coran pour garantir la valeur historique de ses données relatives au Christ. L’historien cependant rechignera à opérer pareil processus : non pas certes qu’il soit par essence incrédule, mais en tant que praticien d’une science, il a appris à se méfier de l’arbitraire des croyances. Il sait très bien qu’il existe maints ouvrages que l’on dit inspirés ou révélés de Dieu, ouvrages qui, prétendant traiter du Christ, se contredisent allègrement les uns avec les autres. Il voit dès lors mal comment privilégier l’un de ceux-ci sans aussitôt tomber dans l’arbitraire : celui de la foi dans laquelle chacun a été élevé, c’est-à-dire des croyances dont chaque famille et chaque communauté font, aléatoirement et parfois malheureusement, hériter chacun. En tant que praticien d’une science, il se doit en effet de s’éloigner de toute croyance arbitraire de manière à parvenir à une connaissance rationnellement établie du passé, connaissance s’imposant d’elle-même à toute personne douée de raison. Il sera ainsi amené à traiter chaque artefact du passé, fût-il considéré comme étant révélé/inspiré par Dieu, comme un document historique en soi parmi tant d’autres. Et inévitablement à lui appliquer une saine critique issue d’une méthodologie scientifique, rationnelle, rigoureuse. En cela, et malgré des résistances et des pressions évidentes, le Coran ne saurait évidemment faire exception. Or, c’est précisément parce qu’il ne doit pas faire exception que l’historien qui s’intéressera à la vie historique de Jésus ne pourra s’empêcher de demeurer foncièrement sceptique à son égard, en considérant ces données coraniques dont l’origine est plus qu’incertaine. Jusqu’à nos jours, il est un fait qu’aucun historien n’ayant eu à traiter du Jésus historique ne s’intéressa aux allégations coraniques. Evidemment, un tel rejet apparaîtra surprenant, voire soupçonneux pour nombre de croyants musulmans, sincèrement, intimement et profondément structurés par leur foi. C’est ici que nous nous proposons d’intervenir, certes modestement et à notre niveau, mais de manière suffisamment claire pour espérer faire comprendre à nos lecteurs musulmans sur quoi le rejet d’appréhender le Coran comme un matériau historique pertinent concernant la vie du Christ, se fonde rationnellement. Ces précisions étant faites, nous pouvons débuter.
- a) Le Coran contient peu de données concernant Jésus :
- Il apparaîtra en effet évident à chacun que le personnage de ʿĪsā ibn Maryam n’apparaît seulement que de façon très fugace dans le Coran. Pour l’ensemble du Coran, lui et son évangile n’apparaissent respectivement que 25 et 12 fois, ce qui demeure comparativement au donné brut que le Nouveau Testament et les évangiles fournissent, très peu. Rien que pour l’évangile de Matthieu, le nom de Jésus apparaît ainsi cinq fois plus souvent que dans le Coran. On comptabilise 49 versets coraniques qui traitent de près ou de loin de Jésus, ce qui représente moins de 1% de l’ensemble des versets du Coran. Là encore, la différence avec les évangiles est flagrante. La raison en est bien sûr évidente : alors que les évangiles sont des ouvrages portant exclusivement sur la vie, l’enseignement et la foi en Christ, le Coran lui n’aborde ce sujet que de manière périphérique, se contentant de polémiquer sur le Messie et de le placer parmi les récits/rappels de nombreux autres prophètes anciens. Toutefois, on s’apercevra qu’un tel constat ne montre qu’une chose : la pauvreté des données coraniques relatives à Jésus. Rien n’indique cependant que ces données, si minces soient-elles, ne puissent prétendre à l’historicité. Tâchons par conséquent de mener la réflexion plus avant.
- b) La moitié de ces données est d’ordre transhistorique :
- Par transhistorique, nous entendons toute donnée dépassant l’histoire et n’entrant pas directement en son cadre. Ainsi, la question de savoir si Jésus fut réellement le Messie ne concerne pas l’historien, mais le théologien et pour ainsi dire le croyant. L’historien pourrait certes montrer que certains juifs ont reconnu en Jésus leur Messie, voire que Jésus s’est lui-même déclaré Messie, mais il n’est pas du domaine de la science historique de se prononcer sur la nature messianique effective de Jésus. Comme cela est fait depuis longtemps dans le Nouveau Testament, concernant la vie historique du Christ, il convient ainsi de dissocier les données à caractère théologique (c’est-à-dire la christologie à proprement parler) des données à dimension historique (ses dires et ses actes par exemple) lesquelles seules sont susceptibles d’intéresser l’historien. Aussi voyons-nous toutes les données christologiques du Coran tomber car, portant spécifiquement sur l’identité théologique de Jésus, elles demeurent éminemment impropres à être considérées par l’historien et foncièrement inutilisables pour une approche du Jésus historique. 22 des 49 versets tombent sous le coup de cette inadéquation à l’intérêt historique (mais non pas théologique) de la question qui nous occupe.
- c) Certaines des données à dimension historique sont clairement anhistoriques :
- Par anhistoricisme, nous désignons tout discours entrant en contradiction avec la connaissance rationnellement établie du passé que nous possédons. Or, il est un fait que certains éléments du discours coranique correspondent de manière évidente à cette description. Par exemple, que Jésus ait pu parler à sa naissance ou qu’il ait formé un oiseau à partir de la boue et auquel il donna la vie sont sans conteste des éléments légendaires qui prennent appui sur des apocryphes chrétiens, apocryphes qui n’avaient eux-mêmes aucune prétention à l’historicité et auxquels aucun historien n’accorde le moindre crédit. Un autre exemple peut être typiquement trouvé dans la négation de la crucifixion qui, on le sait, sépare chrétiens et musulmans depuis toujours. La crucifixion de Jésus passant pour une donnée des plus sûres de la vie de Jésus, attestée aussi par des auteurs en dehors du christianisme, sa négation ne peut qu’apparaître comme étant anhistorique. On l’explique par ailleurs aisément : elle répond en effet à une vision théologique proprement coranique selon laquelle Dieu n’abandonne pas ses envoyés et prophètes à leurs persécuteurs. Ces données s’identifient clairement à des midrashim, c’est-à-dire à des schémas fictifs de personnages bibliques librement interprétés dans le cadre de notions théologiques et morales clefs. Elles n’ont cependant aucune valeur historique.
- d) Les données proprement historiques et leur pertinence :
- Si l’on écarte les données transhistoriques et anhistoriques, les éléments à dimension proprement historique se révéleront bien minces. Le ministère public de Jésus, seule période digne d’intérêt pour l’historien, est à peu près laissé de côté par le Coran tandis qu’il constitue la structure même des évangiles. Il en est brièvement évoqué dans le Coran : a) les miracles b) les enseignements parmi lequel on peut compter l’assomption de la Torah, l’abrogation d’une certaine partie de celle-ci et la malédiction de certains juifs c) les apôtres d) une table (?) garnie descendant du ciel. Les parallèles avec certains passages des évangiles sont ici saisissants. Faut-il pour autant en déduire que le Coran se révèle être un document pertinent pour connaître la vie historique de Jésus ? L’historien ne pourra ici répondre que par la négative. En effet, pour qu’une source puisse être jugée pertinente pour traiter de la vie de Jésus, il convient qu’elle ait de prime abord des éléments susceptibles de remonter jusqu’à lui. Or, on voit mal comment une tradition orale authentique peut remonter six siècles durant au Christ sans pour autant en avoir été profondément défigurée par les siècles jusqu’à en devenir un mythe. Par ailleurs, il a été montré plus haut que les éléments coraniques relatifs à Jésus ne sont pas issus d’une tradition de ce type mais bien plutôt de divers apocryphes et de la méthode midrashique mise en œuvre dans le Coran. En outre, l’examen des données à caractère historique concernant Jésus dans le Coran a exposé qu’elles n’apportaient absolument rien de nouveau, c’est-à-dire qu’elles ne demeuraient être rien de plus que des « redites » et des données de seconde main. Par conséquent, il est maintenant établi que le Coran n’est pas un document historique probant pour traiter du Jésus de l’histoire.