J'ai trouvé ça sur le net, c'est pas trop mal, c'est un peu long mais pas trop mal.
La question du "fils de Dieu" au temps de Jésus
Les évangiles opposent, d'une certaine manière, deux titres donnés à Jésus : le premier est "fils de l'homme", et le second, "fils de Dieu". Le premier est employé par Jésus pour parler du "messie", sans qu'il se désigne explicitement comme tel ; le second, qui nous intéresse ici, est le terme employé par les interlocuteurs de Jésus pour le désigner explicitement. Lui-même, Jésus, utilise le mot "père" pour parler de Dieu.
Jésus est donc appelé communément "fils de Dieu" par le ciel, au moment de son baptême, par Satan, dans l'épisode de la Tentation, par les démons, par les disciples, par la nuée, lors de la Transfiguration, par la foule, les grands-prêtres, qui reprochent à Jésus de s'être présenté comme "fils de Dieu", enfin, par le centurion, à la fin de sa vie.
À quoi renvoie donc cette expression de "fils de Dieu", quand elle est mise dans la bouche des témoins de Jésus au cours de son ministère ?
"Fils de Dieu" s'applique traditionnellement à un homme exerçant le pouvoir suprême : en particulier, c'est une des qualités reconnues au pharaon, souverain politique et religieux. L'appellation "fils de Dieu" n'est pas un signe de divinité, mais un titre de souveraineté. Or, en Israël, la souveraineté est exercée, à la période post-exilique, par un monarque étranger, perse d'abord, puis égyptien, puis syrien, enfin romain ; et à Jérusalem, le pouvoir est partagé entre un grand-prêtre héréditaire et un gouverneur nommé. Le titre "fils de Dieu" s'applique alors logiquement à la fonction sacerdotale.
Il me semble que c'est en ce sens qu'il faut comprendre ce titre appliqué à Jésus de son vivant. La brièveté du ministère de Jésus, son âge précoce rendent invraisemblable qu'il ait été réputé pour la sagesse de son enseignement. Ce qui frappe un lecteur naïf de l'évangile - pour autant que nous parvenions à l'être nous-mêmes -, c'est son exousia, son "autorité", dès le début de son ministère public ; et un peu plus tard, quand Jésus est reconnu par ses disciples, il se rend à Jérusalem, non pour y enseigner, mais pour y connaître le martyre. D'où viennent cette exousia initiale et cette ambition de mourir en martyr, au moment où il paraît en mesure de mettre en place l'enseignement nouveau qu'il a dans la tête ?
La grande question qui agite Jérusalem au temps de Jésus est l'absence de légitimité du grand-prêtre imposé par Hérode. Depuis ~40, Hérode a obtenu des Romains que son pouvoir soit dynastique, et comme il n'est pas Juif, mais Iduméen (autrement dit qu'il descend non de Jacob, mais d'Ésaü), il exerce lui-même le pouvoir royal et nomme le grand-prêtre. Jusque-là, le grand-prêtre était dynastique et le gouverneur nommé par le suzerain étranger. Déjà à l'époque asmonéenne, le grand-prêtre ne faisait plus l'unanimité. Mais avec Hérode, le grand-prêtre change chaque année et dépend ainsi complètement du prince qui le nomme ; sa légitimité en souffre, et de nombreuses tentatives s'efforcent de restaurer un sacerdoce légitime, c'est-à-dire un sacerdoce dynastique exercé par une famille dont la légitimité soit reconnue.
Or, il existe un lien de parenté entre Jean le Baptiste et Jésus, ainsi qu'entre Jésus et trois dirigeants de la future communauté chrétienne de Jérusalem : Jacques, qui succède à Pierre et meurt en 63 ; Syméon, qui succède à Jacques en 71 ; et Jude, dont le mandat est interrompu en 135, quand les Romains chassent tous les Juifs de Jérusalem y compris les chrétiens. Jésus appartient ainsi à une chaîne dynastique, vraisemblablement mise en place par Jean, qui est un prêtre, puisque son père Zacharie est de la classe d'Abia et descend d'Aaron. Jésus et ses frères sont, en revanche, des laïcs, issus de la tribu de Juda. Or, au temps du sacerdoce légitime, le principe avait été adopté de faire d'Israël un peuple de prêtres des autres nations, si bien que l'accession d'un laïc à la fonction sacerdotale est non seulement possible, mais elle a un côté prophétique, puisqu'elle marque l'avènement d'une ère nouvelle du judaïsme, devenu la religion internationale du dieu unique.
Ainsi, l'aura exceptionnelle de Jésus au début de son ministère s'explique par l'investiture qu'il a reçue de Jean le Baptiste au moment de son baptême : Jean est le fondateur d'une nouvelle dynastie, et Jésus a la charge de rétablir le sacerdoce légitime en s'installant au temple. C'est en ce sens qu'il est "fils de Dieu". L'expression fait de lui le grand-prêtre légitime avant son entrée en fonction ; et les grands-prêtres hérodiens le combattent comme un concurrent dangereux.
Voici donc mon premier sens : de son vivant, Jésus est qualifié de "fils de Dieu" pour signifier qu'il est le grand-prêtre légitime du peuple juif, alors que le temple est habité par un grand-prêtre hérodien sans légitimité. La mission de Jésus est de rétablir le sacerdoce légitime. Mais lui-même, en choisissant le chemin du martyre, renonce à la violence que suppose la reconquête et, par sa mort et sa résurrection, déplace le lieu du sacerdoce et l'emmène avec lui dans le monde céleste, d'où son retour est attendu pour "juger les vivants et les morts".