Bonjour à tous, Salam.
Je vois qu'il y a une certaine confusion de la part de certains chrétiens au sujet de l'approche islamique de la Bible.
Le Coran ne mentionne la Bible dans son acceptation actuelle nulle part. Même l'expression Ahl al-Kitab, désignant les juifs et les chrétiens, ne fait pas forcément référence à la Bible. Kitab étant un terme assez large pour englober tous les corpus religieux et canons ayant fait autorité au sein des diverses communautés religieuses juives et chrétiennes au cours des siècles, et pas seulement les canons hébraïque, catholique et protestant actuels.
Ce que le Coran mentionne explicitement comme étant des révélations divines, c'est les Suhuf-i-Ibrahim (Feuillets d'Abraham), la Tawrat (Torah) aussi nommée Suhuf-i-Musa (Feuillets de Moïse), le Zabur (improprement traduit par Psaumes, mais signifie en fait écriture), et l'Injil (Evangile).
Les uns sont écrits, comme en témoigne la mention Suhuf accordée à la révélation abrahamique et à la Torah, ainsi que le sens premier du terme Zabur ("couché par écrit"). Les autres sont oraux (comme l'Evangile, dont les hagiographies attribuées par l'Eglise à des apôtres sont des échos, des témoignages).
Les Suhuf-i-Ibrahim, Feuillets d'Abraham, sont absents de la Bible actuelle, et ne correspondent pas aux récits sur Abraham faits dans la Génèse puisque le Coran les distingue de la Torah. Il s'agit probablement de la première révélation à avoir été mise par écrit dans l'histoire monothéiste, en proto-cananéen ou en assyrien, par le prophète Abraham. Mais nous ne pouvons que supposer car le Coran ne nous donne pas de précision à ce sujet, et l'Histoire ne nous permet d'en savoir plus non plus.
La Tawrat écrite évoquée par le Coran désigne en réalité, dans son acceptation de révélation divine, une Torah primitive, qui fut écrite par Moïse lui-même (peut-être sur la base des Suhuf-i-Ibrahim ?). Cette proto-Torah n'est plus disponible de nos jours, sinon peut-être par fragments dans la Torah actuelle. La Torah actuelle est selon les historiens une réécriture de la proto-Torah, bien plus conséquente et tardive, puisqu'elle a lieu durant l'exil à Babylone, période au cours de laquelle le vrai texte de la Torah fut perdu.
Cependant, bien que la Tawrat figurant dans la Bible hébraïque ne correspond plus à la révélation mosaïque, le Coran la reconnaît comme guidance et lumière, lorsque interprétée correctement, car le travail de récupération dont elle est issue a permis d'y sauvegarder certains éléments de la révélation originelle. Éléments que le Coran confirme, aux côtés d'autres faux ou partiellement faux, qu'il est venu corriger.
Quant à l'Injil, au singulier, le Coran ne précise nulle part qu'il ait existé sous forme écrite, et c'est pourquoi il n'accuse jamais les chrétiens de l'avoir falsifiée, à l'inverse des juifs. Il leur adresse cependant le reproche d'avoir été infidèles à son message et oublieux... Quel est ce message ? Le sens du mot Injil, venant du grec, est là pour nous éclairer : "la bonne nouvelle". Il s'agissait donc de la bonne nouvelle apportée par Jésus, son message, car nous savons que chaque prophète a été envoyé comme miséricorde pour les mondes. Un message qui est toujours resté oral, puisque Jésus n'a rien écrit ni fait écrire, et qui est résumé à travers plusieurs versets dans le Coran : monothéisme pur, amour envers Dieu et le prochain, et annonce d'un prophète à venir.
De toutes les révélations orales et écrites précitées, aucune n'a pris la forme de paroles littérales de Dieu. Toutes les révélations antérieures au Coran ont été exprimées par des humains saisis par l'Esprit de Dieu. Seul le Coran a eu le privilège d'être révélé sous forme de parole divine brute et simplement transmise par le Prophète, sans aucune implication humaine autre. Cela, parce que le miracle accordé au Prophète était le Coran. Ibn Khaldoun le précise bien au début de ses célèbres Prolégomènes : "Ces observations démontrent que, de tous les livres divins, le Coran est le seul dont le texte, paroles et phrases, ait été communiqué à un prophète par la voie de l’audition. Il en est autrement à l’égard du Pentateuque, de l’Evangile et des autres livres divins : les prophètes les reçurent par la voie de la révélation et sous la forme d’idées. Revenus ensuite de leur état d’extase et rentrés dans l’état normal de l’humanité, ils revêtirent ces idées de leurs propres paroles. Aussi le style de leurs écrits n’offre-t-il rien de miraculeux. C’est au Coran seul qu’appartient ce caractère. De même que les autres prophètes reçurent leurs livres sous la forme d’idées, le nôtre reçut sous la même forme un grand nombre de communications qui se trouvent dans les recueils de tradition." (Al Muqqadima, 1, VI).
J'espère que c'est désormais plus clair. Je comprends que de telles affirmations puissent être dérangeantes et paraître insultantes pour des chrétiens sincèrement convaincus de l'authenticité de la Bible, mais nous sommes là pour en discuter, et non les imposer, et chacun est libre d'y adhérer ou non. Il n'en demeure pas moins qu'affirmer, par ignorance, des choses fausses au sujet de la thèse coranique, n'est guère approprié. La réalité est bien plus complexe que ce que vous avez pu comprendre en lisant quelques versets, et contrairement à ce que certains affirment, les données proposées par le Coran sont pleinement confirmées par la recherche historique, et ne relèvent donc pas de l'invraisemblable ou de l'absurde.
Bien à vous,
Qurtubi