Le Christianisme a été un ascenseur social
Daniel Maruguerat
Spécialiste du Jésus historique, a été professeur à l'université de Lausanne.
Le théologien suisse décrypte une doctrine qui, de Jésus à Paul, prit une dimension universelle.
Jésus a-t-il voulu fonder une nouvelle religion ?
La réponse est clairement non. Il n'avait pas l'intention de fonder une synagogue séparée, ni une communauté sectaire. Il était un réformateur d'Israël, terre sur laquelle il a presque exclusivement concentré son action. Il s'est trouvé entouré de deux cercles de disciples. D'abord les intimes, au nombre de 12. Puis une mouvance beaucoup plus large, qui comprenait hommes et femmes, sympathisants suffisamment proches de lui pour le suivre dans son itinérance, puisqu'il a vécu une vie partiellement nomade. Les Douze ne peuvent pas être assimilés à une communauté retirée du monde, contrairement à la secte de Qumrân, dans le désert de Juda, qui s'était coupée de tout le reste d'Israël, qu'elle estimait impur et décadent. Ce chiffre fait évidemment écho aux douze tribus d'Israël. Il affiche ce que cherche Jésus : une recomposition symbolique du peuple d'Israël. Le but du Nazaréen était non pas de remplacer Israël, mais de montrer que la foi de son peuple devait être rénovée, restaurée, vivifiée.
Il ne faut pas le seul à nourrir un tel projet ?
Non, Jean le Baptiste, que l'on connaît bien moins que Jésus, avait la même intention. Il n'a pas eu autant de disciples, mais Jésus à l'origine en a fait partie. Ce maître spirituel a institué un rite de séparation par le baptême, qui préparait le converti à la venue imminente d'un Dieu de colère, châtieur des impies.
Il y avait également des communautés plus " combattantes "
C'est le cas des Zélotes, mouvement qui s'éveille au temps de Jésus et va connaître son apogée dans les années 60-70, à travers une action militante, nationaliste et violente. Au total, plusieurs communautés du temps de Jésus ont manifesté leur volonté de réformer Israël. La particularité de l'homme de Nazareth est qu'au contraire des Zélotes il prêche la non-violence, et qu'à la différence des Qumrân il refuse le retrait. Ce n'est pas pour autant, et malgré son fort charisme, qu'il a voulu crééer une nouvelle entité religieuse.
S'il était 100% juif, pourquoi sa doctrine fut-elle rejetée ?
On a évalué à quel point le judaïsme contemporain de Jésus était divers, pluriel, une grande famille très éclatée, hérissée de disputes et de querelles doctrinales, tout en affichant son appartenance solidaire à Israël. Dans cette fraternité-rivalité, qui gravite autour des deux piliers qui sont le Temple et la Loi, les factions religieuses en cessent de clamer leur singularité, leur propre perception de la vérité. Les juifs le disent encore aujourd'hui : "Trois juifs, quatre opinions".
Loin d'être monolithique, ce peuple ne connaissait pas d'orthodoxie. L'orthodoxie ne viendra qu'après l'an 70 de notre ère et la chute du Temple (détruit par les Romains). Lorsque ce premier pilier - le Temple - s'effondre, avec la disparition dramatique des sacrifices quotidiens, des rites de la garantie de la présence de Dieu dans son peuple, le traumatisme est épouvantable. Le judaïsme se reconstruit alors magnifiquement sur l'autre pilier - la Loi -, qu'il a fallu solidifier puisqu'il était le seul restant. Cette tâche revient aux pharisiens, spécialistes de la Halakha, qui est l'exégèse de la Torah. Le mouvement pharisient, d'une créativité admirable, a permis au judaïsme de se relever et de perdurer. Mais il y eut un prix à payer : l'instauration d'une orthodoxie. En l'absence d'autorité centrale, les synagogues locales sont appelées chacune à durcir leurs positions, à introduire dans leurs prières les "Shermoné esré", les dix-huit bénédictions - des formules d'exclusions. L'une de ces prières dit : "Que les arrogants soient détruits" et elle y joint l'expulsion des notzrim, qui sont les juifs chrétiens. Ces derniers, jusque là tolérés, cessent de l'être après 70. La montée de l'orthodoxie fait que les marginaux doivent être écartés. Avant 70, les chrétiens vivent à l'intérieur de la grande diversité du judaïsme, après il en sont chassés.
L'Express
janvier 2011
à suivre...
Daniel Maruguerat
Spécialiste du Jésus historique, a été professeur à l'université de Lausanne.
Le théologien suisse décrypte une doctrine qui, de Jésus à Paul, prit une dimension universelle.
Jésus a-t-il voulu fonder une nouvelle religion ?
La réponse est clairement non. Il n'avait pas l'intention de fonder une synagogue séparée, ni une communauté sectaire. Il était un réformateur d'Israël, terre sur laquelle il a presque exclusivement concentré son action. Il s'est trouvé entouré de deux cercles de disciples. D'abord les intimes, au nombre de 12. Puis une mouvance beaucoup plus large, qui comprenait hommes et femmes, sympathisants suffisamment proches de lui pour le suivre dans son itinérance, puisqu'il a vécu une vie partiellement nomade. Les Douze ne peuvent pas être assimilés à une communauté retirée du monde, contrairement à la secte de Qumrân, dans le désert de Juda, qui s'était coupée de tout le reste d'Israël, qu'elle estimait impur et décadent. Ce chiffre fait évidemment écho aux douze tribus d'Israël. Il affiche ce que cherche Jésus : une recomposition symbolique du peuple d'Israël. Le but du Nazaréen était non pas de remplacer Israël, mais de montrer que la foi de son peuple devait être rénovée, restaurée, vivifiée.
Il ne faut pas le seul à nourrir un tel projet ?
Non, Jean le Baptiste, que l'on connaît bien moins que Jésus, avait la même intention. Il n'a pas eu autant de disciples, mais Jésus à l'origine en a fait partie. Ce maître spirituel a institué un rite de séparation par le baptême, qui préparait le converti à la venue imminente d'un Dieu de colère, châtieur des impies.
Il y avait également des communautés plus " combattantes "
C'est le cas des Zélotes, mouvement qui s'éveille au temps de Jésus et va connaître son apogée dans les années 60-70, à travers une action militante, nationaliste et violente. Au total, plusieurs communautés du temps de Jésus ont manifesté leur volonté de réformer Israël. La particularité de l'homme de Nazareth est qu'au contraire des Zélotes il prêche la non-violence, et qu'à la différence des Qumrân il refuse le retrait. Ce n'est pas pour autant, et malgré son fort charisme, qu'il a voulu crééer une nouvelle entité religieuse.
S'il était 100% juif, pourquoi sa doctrine fut-elle rejetée ?
On a évalué à quel point le judaïsme contemporain de Jésus était divers, pluriel, une grande famille très éclatée, hérissée de disputes et de querelles doctrinales, tout en affichant son appartenance solidaire à Israël. Dans cette fraternité-rivalité, qui gravite autour des deux piliers qui sont le Temple et la Loi, les factions religieuses en cessent de clamer leur singularité, leur propre perception de la vérité. Les juifs le disent encore aujourd'hui : "Trois juifs, quatre opinions".
Loin d'être monolithique, ce peuple ne connaissait pas d'orthodoxie. L'orthodoxie ne viendra qu'après l'an 70 de notre ère et la chute du Temple (détruit par les Romains). Lorsque ce premier pilier - le Temple - s'effondre, avec la disparition dramatique des sacrifices quotidiens, des rites de la garantie de la présence de Dieu dans son peuple, le traumatisme est épouvantable. Le judaïsme se reconstruit alors magnifiquement sur l'autre pilier - la Loi -, qu'il a fallu solidifier puisqu'il était le seul restant. Cette tâche revient aux pharisiens, spécialistes de la Halakha, qui est l'exégèse de la Torah. Le mouvement pharisient, d'une créativité admirable, a permis au judaïsme de se relever et de perdurer. Mais il y eut un prix à payer : l'instauration d'une orthodoxie. En l'absence d'autorité centrale, les synagogues locales sont appelées chacune à durcir leurs positions, à introduire dans leurs prières les "Shermoné esré", les dix-huit bénédictions - des formules d'exclusions. L'une de ces prières dit : "Que les arrogants soient détruits" et elle y joint l'expulsion des notzrim, qui sont les juifs chrétiens. Ces derniers, jusque là tolérés, cessent de l'être après 70. La montée de l'orthodoxie fait que les marginaux doivent être écartés. Avant 70, les chrétiens vivent à l'intérieur de la grande diversité du judaïsme, après il en sont chassés.
L'Express
janvier 2011
à suivre...