Ci-joint un petit texte traitant du qualificatif christologique de "serviteur de Dieu" que nous trouvons aussi bien dans la Bible que le Coran. Quel sens faut-il lui donner dans chacun des cas ? Est-il possible et intelligent de dresser des parallèles ? Son usage dans la rhétorique coranique trahit-il une affiliation au judéo-christianisme au sens le plus large possible ? Nous nous proposons ici d'apporter une réponse pertinente à chacune de ces questions.
L’examen des données christologiques du Coran montre qu’à trois reprises (IV, 172 ; XIX, 30 ; XLIII, 59), Jésus est qualifié de serviteur d’Allah (littéralement esclave d’Allah, ‘abdu l-lahi عبدلله). Sans nul doute l’expression paraîtra incongrue à certains et pour le moins abrupte à d’autres ; néanmoins, il convient de pousser la réflexion plus avant afin de déterminer sa teneur réelle pour l’auteur du Coran. Avant tout, il est à peu près sûr que l’usage de ‘abd pour évoquer Jésus n’est pas sans intention dogmatique. En effet, ‘abd, expression si typique de la rhétorique coranique, représente dans le Coran un terme théologique clef désignant « la créature » et se voulant rappeler la vocation première de l’homme : « l’homme », pour reprendre les termes mêmes de G. C. ANAWATI, « n’est pas seulement ‘serviteur’ de Dieu mais aussi Sa ‘propriété’. »[1] L’intérêt dudit terme attribué à Jésus est alors manifeste : contre les scandaleuses prétentions chrétiennes, il s’agit de souligner le rapport de dépendance absolue du Christ vis-à-vis d’Allah, dépendance résultant directement de son statut de créature. Cela est particulièrement accentué dans les quelques versets où Jésus appelle Allah « mon Seigneur et le vôtre », c’est-à-dire où le monothéisme strict, qui constitue par ailleurs l’essentiel du prêche du Messie dans le Coran, engage à mettre autant de distance entre le Créateur et Sa créature : « Certes, Dieu est mon Seigneur et le vôtre, adorez-Le donc car telle est la voie droite ! » (III, 51). Aussi, lorsque ‘abd est employé, l’intention de son usage est évidente et davantage encore lorsque le terme est immédiatement utilisé dans un passage de polémique avec les gens du Livre, comme typiquement en IV, 172. En d’autres endroits, cela paraît cependant moins clair. Tout en assumant le sens premier du terme, on serait en effet tenté d’en joindre un second qui paraîtrait tout autant significatif : ‘abd ne serait plus alors à rendre comme « créature » mais bien plutôt comme « serviteur » de Dieu. Le sens retiré n’aurait d’ailleurs rien de polémique ou de péjoratif en soi : dans le discours coranique, il désigne au contraire tout homme choisi voire chéri de Dieu. C’est ainsi qu’Abraham, Isaac, Jacob, Moïse et d’autres encore sont qualifiés de « serviteur de Dieu » et de ce fait érigés en exemple pour les croyants qui en lisent les récits. En étant attribut d’un tel prédicat, Jésus rejoindrait donc la liste de différents prophètes et envoyés élus de Dieu[2] présentés comme de véritables modèles par la rhétorique coranique. Appliqué au Christ, le terme ne serait par conséquent rien de moins qu’une expression honorifique, ce qui semble pouvoir se déduire du contexte littéraire immédiat des deux autres attestations scripturaires, XIX, 30 et XLIII, 59. Ce raisonnement est-il cependant réellement fondé ? Il n’est pas évident de répondre à pareille question mais dans tous les cas, la seconde acceptation de ‘abd ne saurait effacer la première et ne pourrait que se joindre et se comprendre à partir d’elle.
[1] ANAWATI G. C., art. «ʿĪsā » in « Encyclopédie de l’Islam », t. IV, Brill, p. 87. Comme il apparaît dans nombre de versets, l’homme est en effet esclave d’Allah et doit se soumettre à sa volonté. Par ailleurs, bien que le sens historique originel puisse sans doute différer de la signification théologique ultérieure, l’étymologie du terme musulman (muslim مسلم, littéralement celui qui fait acte de soumission) ou encore islâm (الإسلام, littéralement la soumission) tend remarquablement à affirmer le sens même de l’anthropologie coranique et islamique. Et, inévitablement, à souligner le contraste avec l’anthropologie théologique chrétienne. Cf ARNALDEZ R., « L’homme selon le Coran », Hachette Littératures, 2002, coll. « Pluriel », 250 p.
[2] Cf les sourates 37 et 38.
Maintenant, si l’on examine le donné biblique en rapport à la question, on constatera que le NT applique lui aussi à plusieurs reprises le terme de « serviteur » à Jésus. Est-ce à dire que « la » Bible avalise sur ce point la christologique coranique ? Ce serait aller vite en besogne que de répondre par l’affirmative. En ce qui concerne l’exégèse et la teneur même de ces termes, il importe en effet avant tout de considérer que les textes usent de deux principaux mots pour désigner le serviteur, rendant par ailleurs plutôt bien la nuance sémantique de ‘abd dégagée plus haut : doulos δοῦλος signifiant l’esclave à proprement parler dépendant radicalement de son maître, et pais παῖς indiquant plutôt le serviteur attaché à la maison. Il est remarquable et significatif de constater que si l’on excepte Ph 2, 7[3], doulos n’est jamais utilisé pour désigner Jésus dans l’ensemble du NT : les auteurs préfèrent davantage se présenter esclave du Christ[4] que de présenter eux même le Christ comme esclave de qui/quoi que ce soit, y compris de Dieu. Cet élément si central de la christologie coranique ne semble donc posséder aucun parallèle avec le donné biblique. En revanche, c’est à 4 reprises[5] que pais est utilisé pour qualifier le Christ, principalement dans l’œuvre de Luc. Ce sont dans les Actes des Apôtres et spécifiquement dans les discours de Pierre, véhiculant du matériau ancien, que Jésus est principalement appelé « serviteur de Dieu »[6]. Sans doute s’agit-il d’un titre christologique archaïque prenant son origine, probablement liturgique[7], dans le christianisme palestinien primitif : en tout cas son origine judéo-chrétienne est certaine. Avec le temps, il s’évanouira pourtant jusqu’à disparaître de la pratique ecclésiale comme des confessions christologiques orthodoxes, « trop juif peut-être, » comme l’explique C. PERROT, « peu spécifique et toujours quelque peu marqué d’une certaine connotation péjorative dans le monde hellénistique. »[8] Si ainsi, l’on s’accorde sans peine sur le titre et son origine, le sens à lui donner n’est cependant pas évident de prime abord. On pourrait en effet par ce titre entendre exactement la même chose que ce que le Coran semble indiquer en parlant des « serviteurs de Dieu » à savoir, un homme choisi et chéri de Dieu, ce que Luc semble bien indiquer à certains égards : ainsi, il laisse Dieu qualifier Israël (1, 54) et David (1, 69 ; Ac 4, 25) d’être παιδὸς αὐτοῦ, c’est-à-dire « Son serviteur ».[9] Ce ne serait d’ailleurs pas hétérodoxe en tant que tel et pourrait sans doute correspondre aux affinités théologiques du christianisme primitif. Quoi qu’il en soit, l’œuvre de Luc permet de mener la réflexion plus avant et offre de bonnes raisons d’assimiler ce serviteur aimé de Dieu au personnage vétéro-testamentaire si mystérieux du « serviteur souffrant ».[10] Il s’agit ici d’une figure prophétique apparaissant dans le livre d’Isaïe, figure exprimant la rédemption et donc, le sacrifice propitiatoire comme chemin du salut à venir. Luc est le seul des évangélistes à citer et donc à appliquer à la passion de Jésus l’oracle du « serviteur souffrant » (Lc 22, 37), que l’on retrouvera par ailleurs plus loin dans le récit des Actes (Ac 8, 32). Il ne semble donc pas injustifié d'assimiler, chez Luc, le « serviteur souffrant » au « serviteur de Dieu » que demeure être Jésus. Ainsi sommes-nous amenés à comprendre le titre christologique de « serviteur de Dieu », dans la Bible, comme étant un titre primitif exprimant la foi en un homme chéri de Dieu lequel, conformément au livre d’Isaïe, brille de par son innocence et par le sacrifice propitiatoire qu’il accomplit pour les siens.
[3] Au vu de la christologie paulinienne se dégageant de l’hymne, on peut sans aucun doute éloigner celle-ci de la christologie coranique. L’emploi de doulos sert ici à décrire le résultat de la kénose, c'est-à-dire l'abaissement de la divinité en l'incarnation, et ne possède aucun rapport avec les assertions polémiques de ‘abd.
[4] Cf Rm 1, 1 ; Jc 1, 1 ; 2 P 1, 1 ; Jude 1, 1, etc.
[5] Cf Ac 3, 13 ; 3, 26 ; 4, 27 ; Mt 12, 18.
[6] Par exemple : ὁ θεὸς τῶν πατέρων ἡμῶν ἐδόξασεν τὸν παῖδα αὐτοῦ Ἰησοῦν / / Le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur, Jésus (cf Ac 3, 13).
[7] Il n’est ainsi pas sans intérêt de souligner que le plus notable document liturgique de la communauté apostolique qui nous soit parvenu, la Didachè, qualifie également à certaines reprises Jésus de pais tou theou, serviteur de Dieu.
[8] PERROT C., « Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens. Une christologie exégétique », Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », n° 70, Paris, 1997, p. 159.
[9] Plus largement dans la Bible sont qualifiés de « serviteur » de Dieu des personnalités aussi diverses que Elie (2 R 10, 10), les patriarches (Dt 9, 27), Moïse (Ex 14, 31), Samuel (1 S 3, 10), David (Ez 34, 23) etc. Tous renvoient sans exception à la notion d’une personnalité, sinon choisie de Dieu, au moins chérie par lui.
[10] Cf Is 53.
En arrivant à pareille conclusion, il devient donc difficile d’identifier purement et simplement le terme coranique ‘abdu l-lahi avec le titre biblique pais tou theou, même en prenant le premier dans le sens le plus large qui soit. Toute la question dépend en dernière instance de la valeur de cette expression : n’est-elle dans le Coran qu’un artifice de rhétorique dans une polémique avec les gens du Livre ou bien un véritable titre christologique ? Selon la réponse que l’on accordera à cette question, on pourra ou non opérer un rapprochement, si mince soit-il, entre christologie coranique et biblique. Mais toute assimilation et comparaison du donné biblique avec le donné coranique sur la question ne pourra se faire qu’avec une grande prudence. En ce qui nous concerne, il nous a semblé difficile d'opter pour la seconde hypothèse : non seulement l’expression est en elle-même un terme générique et par conséquent usuel dans la rhétorique coranique, mais plus encore, elle est bien trop peu attribuée au Christ et, en pareil cas, demeure bien trop directement liée à des controverses avec les chrétiens pour que l’on puisse raisonnablement la considérer comme un titre christologique en soi. On notera donc qu’une telle conclusion mène également à nier tout rapport entre l’usage dudit terme et sa patrie d’origine, le judéo-christianisme au sens large (orthodoxe ou hétérodoxe) ; ou du moins, elle montre qu’on ne pourra pas rendre justice au Coran en s’appuyant sur pareille expression pour postuler l’origine judéo-chrétienne de l’islam.
L’examen des données christologiques du Coran montre qu’à trois reprises (IV, 172 ; XIX, 30 ; XLIII, 59), Jésus est qualifié de serviteur d’Allah (littéralement esclave d’Allah, ‘abdu l-lahi عبدلله). Sans nul doute l’expression paraîtra incongrue à certains et pour le moins abrupte à d’autres ; néanmoins, il convient de pousser la réflexion plus avant afin de déterminer sa teneur réelle pour l’auteur du Coran. Avant tout, il est à peu près sûr que l’usage de ‘abd pour évoquer Jésus n’est pas sans intention dogmatique. En effet, ‘abd, expression si typique de la rhétorique coranique, représente dans le Coran un terme théologique clef désignant « la créature » et se voulant rappeler la vocation première de l’homme : « l’homme », pour reprendre les termes mêmes de G. C. ANAWATI, « n’est pas seulement ‘serviteur’ de Dieu mais aussi Sa ‘propriété’. »[1] L’intérêt dudit terme attribué à Jésus est alors manifeste : contre les scandaleuses prétentions chrétiennes, il s’agit de souligner le rapport de dépendance absolue du Christ vis-à-vis d’Allah, dépendance résultant directement de son statut de créature. Cela est particulièrement accentué dans les quelques versets où Jésus appelle Allah « mon Seigneur et le vôtre », c’est-à-dire où le monothéisme strict, qui constitue par ailleurs l’essentiel du prêche du Messie dans le Coran, engage à mettre autant de distance entre le Créateur et Sa créature : « Certes, Dieu est mon Seigneur et le vôtre, adorez-Le donc car telle est la voie droite ! » (III, 51). Aussi, lorsque ‘abd est employé, l’intention de son usage est évidente et davantage encore lorsque le terme est immédiatement utilisé dans un passage de polémique avec les gens du Livre, comme typiquement en IV, 172. En d’autres endroits, cela paraît cependant moins clair. Tout en assumant le sens premier du terme, on serait en effet tenté d’en joindre un second qui paraîtrait tout autant significatif : ‘abd ne serait plus alors à rendre comme « créature » mais bien plutôt comme « serviteur » de Dieu. Le sens retiré n’aurait d’ailleurs rien de polémique ou de péjoratif en soi : dans le discours coranique, il désigne au contraire tout homme choisi voire chéri de Dieu. C’est ainsi qu’Abraham, Isaac, Jacob, Moïse et d’autres encore sont qualifiés de « serviteur de Dieu » et de ce fait érigés en exemple pour les croyants qui en lisent les récits. En étant attribut d’un tel prédicat, Jésus rejoindrait donc la liste de différents prophètes et envoyés élus de Dieu[2] présentés comme de véritables modèles par la rhétorique coranique. Appliqué au Christ, le terme ne serait par conséquent rien de moins qu’une expression honorifique, ce qui semble pouvoir se déduire du contexte littéraire immédiat des deux autres attestations scripturaires, XIX, 30 et XLIII, 59. Ce raisonnement est-il cependant réellement fondé ? Il n’est pas évident de répondre à pareille question mais dans tous les cas, la seconde acceptation de ‘abd ne saurait effacer la première et ne pourrait que se joindre et se comprendre à partir d’elle.
[1] ANAWATI G. C., art. «ʿĪsā » in « Encyclopédie de l’Islam », t. IV, Brill, p. 87. Comme il apparaît dans nombre de versets, l’homme est en effet esclave d’Allah et doit se soumettre à sa volonté. Par ailleurs, bien que le sens historique originel puisse sans doute différer de la signification théologique ultérieure, l’étymologie du terme musulman (muslim مسلم, littéralement celui qui fait acte de soumission) ou encore islâm (الإسلام, littéralement la soumission) tend remarquablement à affirmer le sens même de l’anthropologie coranique et islamique. Et, inévitablement, à souligner le contraste avec l’anthropologie théologique chrétienne. Cf ARNALDEZ R., « L’homme selon le Coran », Hachette Littératures, 2002, coll. « Pluriel », 250 p.
[2] Cf les sourates 37 et 38.
Maintenant, si l’on examine le donné biblique en rapport à la question, on constatera que le NT applique lui aussi à plusieurs reprises le terme de « serviteur » à Jésus. Est-ce à dire que « la » Bible avalise sur ce point la christologique coranique ? Ce serait aller vite en besogne que de répondre par l’affirmative. En ce qui concerne l’exégèse et la teneur même de ces termes, il importe en effet avant tout de considérer que les textes usent de deux principaux mots pour désigner le serviteur, rendant par ailleurs plutôt bien la nuance sémantique de ‘abd dégagée plus haut : doulos δοῦλος signifiant l’esclave à proprement parler dépendant radicalement de son maître, et pais παῖς indiquant plutôt le serviteur attaché à la maison. Il est remarquable et significatif de constater que si l’on excepte Ph 2, 7[3], doulos n’est jamais utilisé pour désigner Jésus dans l’ensemble du NT : les auteurs préfèrent davantage se présenter esclave du Christ[4] que de présenter eux même le Christ comme esclave de qui/quoi que ce soit, y compris de Dieu. Cet élément si central de la christologie coranique ne semble donc posséder aucun parallèle avec le donné biblique. En revanche, c’est à 4 reprises[5] que pais est utilisé pour qualifier le Christ, principalement dans l’œuvre de Luc. Ce sont dans les Actes des Apôtres et spécifiquement dans les discours de Pierre, véhiculant du matériau ancien, que Jésus est principalement appelé « serviteur de Dieu »[6]. Sans doute s’agit-il d’un titre christologique archaïque prenant son origine, probablement liturgique[7], dans le christianisme palestinien primitif : en tout cas son origine judéo-chrétienne est certaine. Avec le temps, il s’évanouira pourtant jusqu’à disparaître de la pratique ecclésiale comme des confessions christologiques orthodoxes, « trop juif peut-être, » comme l’explique C. PERROT, « peu spécifique et toujours quelque peu marqué d’une certaine connotation péjorative dans le monde hellénistique. »[8] Si ainsi, l’on s’accorde sans peine sur le titre et son origine, le sens à lui donner n’est cependant pas évident de prime abord. On pourrait en effet par ce titre entendre exactement la même chose que ce que le Coran semble indiquer en parlant des « serviteurs de Dieu » à savoir, un homme choisi et chéri de Dieu, ce que Luc semble bien indiquer à certains égards : ainsi, il laisse Dieu qualifier Israël (1, 54) et David (1, 69 ; Ac 4, 25) d’être παιδὸς αὐτοῦ, c’est-à-dire « Son serviteur ».[9] Ce ne serait d’ailleurs pas hétérodoxe en tant que tel et pourrait sans doute correspondre aux affinités théologiques du christianisme primitif. Quoi qu’il en soit, l’œuvre de Luc permet de mener la réflexion plus avant et offre de bonnes raisons d’assimiler ce serviteur aimé de Dieu au personnage vétéro-testamentaire si mystérieux du « serviteur souffrant ».[10] Il s’agit ici d’une figure prophétique apparaissant dans le livre d’Isaïe, figure exprimant la rédemption et donc, le sacrifice propitiatoire comme chemin du salut à venir. Luc est le seul des évangélistes à citer et donc à appliquer à la passion de Jésus l’oracle du « serviteur souffrant » (Lc 22, 37), que l’on retrouvera par ailleurs plus loin dans le récit des Actes (Ac 8, 32). Il ne semble donc pas injustifié d'assimiler, chez Luc, le « serviteur souffrant » au « serviteur de Dieu » que demeure être Jésus. Ainsi sommes-nous amenés à comprendre le titre christologique de « serviteur de Dieu », dans la Bible, comme étant un titre primitif exprimant la foi en un homme chéri de Dieu lequel, conformément au livre d’Isaïe, brille de par son innocence et par le sacrifice propitiatoire qu’il accomplit pour les siens.
[3] Au vu de la christologie paulinienne se dégageant de l’hymne, on peut sans aucun doute éloigner celle-ci de la christologie coranique. L’emploi de doulos sert ici à décrire le résultat de la kénose, c'est-à-dire l'abaissement de la divinité en l'incarnation, et ne possède aucun rapport avec les assertions polémiques de ‘abd.
[4] Cf Rm 1, 1 ; Jc 1, 1 ; 2 P 1, 1 ; Jude 1, 1, etc.
[5] Cf Ac 3, 13 ; 3, 26 ; 4, 27 ; Mt 12, 18.
[6] Par exemple : ὁ θεὸς τῶν πατέρων ἡμῶν ἐδόξασεν τὸν παῖδα αὐτοῦ Ἰησοῦν / / Le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur, Jésus (cf Ac 3, 13).
[7] Il n’est ainsi pas sans intérêt de souligner que le plus notable document liturgique de la communauté apostolique qui nous soit parvenu, la Didachè, qualifie également à certaines reprises Jésus de pais tou theou, serviteur de Dieu.
[8] PERROT C., « Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens. Une christologie exégétique », Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », n° 70, Paris, 1997, p. 159.
[9] Plus largement dans la Bible sont qualifiés de « serviteur » de Dieu des personnalités aussi diverses que Elie (2 R 10, 10), les patriarches (Dt 9, 27), Moïse (Ex 14, 31), Samuel (1 S 3, 10), David (Ez 34, 23) etc. Tous renvoient sans exception à la notion d’une personnalité, sinon choisie de Dieu, au moins chérie par lui.
[10] Cf Is 53.
En arrivant à pareille conclusion, il devient donc difficile d’identifier purement et simplement le terme coranique ‘abdu l-lahi avec le titre biblique pais tou theou, même en prenant le premier dans le sens le plus large qui soit. Toute la question dépend en dernière instance de la valeur de cette expression : n’est-elle dans le Coran qu’un artifice de rhétorique dans une polémique avec les gens du Livre ou bien un véritable titre christologique ? Selon la réponse que l’on accordera à cette question, on pourra ou non opérer un rapprochement, si mince soit-il, entre christologie coranique et biblique. Mais toute assimilation et comparaison du donné biblique avec le donné coranique sur la question ne pourra se faire qu’avec une grande prudence. En ce qui nous concerne, il nous a semblé difficile d'opter pour la seconde hypothèse : non seulement l’expression est en elle-même un terme générique et par conséquent usuel dans la rhétorique coranique, mais plus encore, elle est bien trop peu attribuée au Christ et, en pareil cas, demeure bien trop directement liée à des controverses avec les chrétiens pour que l’on puisse raisonnablement la considérer comme un titre christologique en soi. On notera donc qu’une telle conclusion mène également à nier tout rapport entre l’usage dudit terme et sa patrie d’origine, le judéo-christianisme au sens large (orthodoxe ou hétérodoxe) ; ou du moins, elle montre qu’on ne pourra pas rendre justice au Coran en s’appuyant sur pareille expression pour postuler l’origine judéo-chrétienne de l’islam.