I / Quelles sont les causes des croisades ?- 1/ On trouve d'abord des raisons spirituelles. Le Tombeau du Christ a été détruit en 1009 et le pèlerinage à Jérusalem a été interdit pendant dix ans, alors que les chrétiens souhaitaient venir en nombre célébrer le premier millénaire de la Rédemption de l'homme. Le pèlerinage redevient néanmoins possible après le règne d'al-Hākim... au moins pour un temps.
En effet, en 1064, l'évêque de Mayence Sigefroy et quatre autres évêques allemands, conduisent 7000 pèlerins sur les pas du Christ en Terre Sainte. Le 25 mars 1065, ils sont massacrés par des bédouins. Désormais, le pèlerinage en Terre Sainte semble définitivement fermé aux chrétiens.
-2/ Les causes des Croisades sont également liées à la géopolitique.
En Europe, la situation du califat de Cordoue a modifié les relations inter-religieuses. En 1002, Almanzor, le régent de Cordoue, décède. Sa succession est difficile. Le califat se morcelle en de multiples principautés, appelées les taifas, qui se battent entre elles. En 1031, le dernier calife de Cordoue, Hicham III, est destitué lors d'une révolte de ses sujets.
L'intolérance religieuse d'Almanzor a révolté les chrétiens. En 1037, le roi de Castille Ferdinand Ier fédère autour de lui les rois de Léon, de Galice et de Navarre. Ensemble, ils attaquent le royaume musulman divisé.
En 1063, le pape Alexandre II donne une indulgence spéciale aux soldats qui se battront pour libérer l'Espagne du joug musulman. Des soldats arrivent de l'Europe chrétienne et particulièrement de France. La Reconquista commence. Ces soldats partent à l'aventure, loin de leur pays. Ce mode de vie aventureux qui permet de s'affranchir du travail toujours recommencé de la terre, va séduire de nombreux hommes et les rendre définitivement inaptes à la vie civile. Ils seront prêts à s'investir dans tous les combats à venir. Mais indépendamment de ces explications psychologiques, c'est bien leur foi chrétienne qui motive leur engagement.
En 1085, Tolède est prise par Ferdinand. Dans le Dār al-Islām, le choc est immense. Les musulmans ne conçoivent pas de perdre leurs guerres, ce n'est pas théologiquement envisageable. Des berbères du Sahara occidental, les Almoravides, viennent au secours de l’Espagne musulmane. L'avancée chrétienne est arrêtée à Sagrajas en 1086 par Ibn Tachfin qui fonde une nouvelle dynastie, celle des Almoravides. Il devient le héros de l'islam, même si le royaume musulman d'Espagne est amputé d'un quart. Son règne, strict et religieux, met fin à l'âge d'or des Omeyyades.
À l'Est, les Seldjoukides, des turcs originaires du Nord de la mer d'Aral, attaquent le Khorasam. Les Seldjoukides sont devenus musulmans sunnites au Xe siècle. En 1040, après le Khorasam, ils s'emparent de l'Iran. En 1055, ils sont à Bagdad. Le calife sunnite abbasside est libéré de la tutelle chiite des Bouyides. Il reste calife - commandeur des croyants sunnites - mais les Seldjoukides revendiquent le titre de Sultan. Ils assument le seul pouvoir politique et ils laissent le calife régler les problèmes religieux. Va-t-on vers une séparation des pouvoirs en terre d'Islam ?
En 1063, Alp Arslan devient sultan seldjoukide. Sunnite de stricte obédience, il se doit de pratiquer la guerre sainte. En 1064, il attaque l'Arménie, le plus vieil état chrétien. Il prend et détruit Ani, sa capitale.
Puis en 1071, le sultan Alp Arslam bat l'empereur byzantin Romain IV près de la ville de Manzikert. Nicée est prise. L’actuelle Turquie faisait partie de l'empire byzantin et était chrétienne. Elle entre dans le Dār al-Islām pour y rester.
En 1078, le sultan Alp Arslam est aux portes de Constantinople. Le cœur de l'empire byzantin est attaqué.
En 1054, le grand schisme d’Orient avait, pour des raisons doctrinales, séparé l’Église catholique de l’Église orthodoxe. L'empire byzantin, orthodoxe, va néanmoins demander l'aide de l’Église catholique. L'appel est entendu du pape Urbain II qui travaille inlassablement au rapprochement de l’Église byzantine orthodoxe et de l’Église catholique romaine. Urbain II souhaite aider l’empereur byzantin Alexis Commère à retrouver ses terres, mais aimerait également ré-ouvrir les portes de Jérusalem au pèlerinage. En 1095, le pape Urbain II appelle à la croisade. Le peuple d'Europe et particulièrement de France va répondre avec enthousiasme.
Les chrétiens ont repris un quart de l'Espagne musulmane, mais la Reconquista marque le pas face à la fermeté des Almoravides. Les chevaliers chrétiens qui ont lutté en Espagne vont pouvoir s'investir en Terre Sainte.
II / Comment vont se passer les croisades ?
Le pape annule toutes les pénitences données en vue de la rémission des péchés et promet le salut à celui qui meurt au combat. La chrétienté répond à l'appel du pape dans toutes ses composantes sociales.
-1 / Pierre l’Ermite est un survivant du pèlerinage allemand de 1064. Dès 1096, il entraîne vers Jérusalem entre 30 000 et 100 000 volontaires qui partent par familles entières. Cette croisade populaire remporte un étonnant succès qui peut paraître bien étrange à nos esprits laïcisés. Encouragés par le mysticisme sans doute un peu exalté de Pierre l’Ermite, mais surtout soutenus par le désir de gagner leur salut, de simples civils, hommes, femmes et enfants, partent pour libérer Jérusalem. Ce qui les pousse vers Jérusalem est bien une foi absolue qui ignore les risques du chemin et n'aspire à aucun profit matériel. Mais la guerre n'est pas chose romantique : les civils sont balayés à Civitot, près de Constantinople. Le 10 août 1096, les troupes de Kiridj Arslan, le fils d’Alp Arslan, les massacrent.
- 2/ Sur les pas des civils peu formés au combat, les seigneurs francs arrivent. Eux aussi ont tout quitté pour libérer le tombeau du Christ, se ruinant souvent pour financer leurs troupes. Ils conduisent une armée aguerrie. Le 26 juin 1097, Godefroy de Bouillon, son frère Baudouin de Boulogne, Hugues de Vermandois et Robert de Normandie reprennent Nicée, puis ils battent Kiridj Arslam à Dorylée. Le 15 juillet 1099, ils prennent Jérusalem, alors aux mains des égyptiens qui l'avaient reprise aux turcs l'année précédente. Jérusalem est pillée par les croisées, des centaines de juifs sont brûlés vifs dans leurs synagogues et les musulmans sont massacrés sans pitié... finalement à l'imitation de toutes les armées contemporaines. Ainsi le 4 juin 1098, les arabes et les turcs avaient-ils achevé jusqu'au dernier les soldats chrétiens de la garnison de la forteresse du Pont de fer à Antioche, puis ils avaient exterminé les musulmans d'une petite ville voisine soupçonnés d'avoir aidé les croisés. Ainsi les égyptiens en reprenant Jérusalem aux turcs en 1098, avaient-ils exterminé toute la garnison turque de Jérusalem. Les croisées ne sont pas plus humains que leurs adversaires, mais ils ne sont pas plus cruels non plus.
III/ Le royaume chrétien de Jérusalem est fondé.
Godefroy de Bouillon devient « avoué du Saint Sépulcre ». Il refuse le titre de roi dans la ville où le Christ a été si effroyablement couronné d'épines. La première Croisade est une démarche mystique et pieuse, bien davantage qu'une guerre de conquête, d'impérialisme politique ou d’appropriation de biens.
Malgré les appels au secours des Seldjoukides, leurs frères en islam, les musulmans de Bagdad et du Caire n'ont pas bougé. Étaient-ils réellement affligés de voir leurs envahisseurs d'hier se faire refouler ?
Dans un écrit de 1105, Al-Sulamī, un juriste de Damas analyse la situation géopolitique à l'origine des Croisades : « Une partie des infidèles (des chrétiens) assaillirent à l'improviste l'île de Sicile, mettant à profit des différends et des rivalités qui y régnaient. De la même manière, les infidèles s'emparèrent aussi d'une ville après l'autre en Espagne. Lorsque des informations convergentes leur parvinrent sur la situation perturbée de la Syrie, dont les souverains se détestaient et se combattaient, ils résolurent de l'envahir. Jérusalem était l'aboutissement de leurs vœux. ».
Le Christ avait appelé au pardon des offenses (Mat 5, 43-44), il n'avait pas préparé ses disciples à résister par les armes. Les chrétiens ont dû attendre Saint Augustin pour se sentir autorisés à se défendre militairement. Confronté aux invasions barbares, Augustin expliqua alors les principes d'une guerre juste dans la Cité de Dieu : elle est uniquement défensive et le pillage y est interdit.
Au cours des siècles, et particulièrement depuis qu'ils sont à la tête d'états, des chrétiens ont fait la guerre. Mais toutes leurs guerres ne sont pas des croisades, loin de là. Par définition, pour que l'on puisse parler de croisade, il faut que la guerre soit réclamée par le pape et qu'elle ait un but religieux.
Dans l'islam, les relations à la guerre sont différentes. Le Coran ordonne la guerre sainte, la guerre de conquête pour répandre l'islam (S. 110). De son vivant, Mohamed a attaqué toutes les tribus et toutes les communautés de la péninsule arabique. À sa disparition, la conquête arabe a porté la guerre chez tous les peuples voisins sans distinction de religions ou de cultures, qu'ils soient perses, byzantins, orientaux, maghrébins ou européens. Les états attaqués se sont naturellement défendus, mais leur résistance ne peut pas être qualifiée de croisade. Il s'agit de simple défense territoriale
La Reconquista espagnole n'est pas une initiative de l’Église, c'est celle du Roi de Castille. Quant à la conquête de la Sicile par les Normands récemment christianisés, elle s'inscrit dans leur grand mouvement d'expansion territoriale.
En fait, la première croisade, la première initiative papale pour appeler à la guerre sainte, date de 848. Le pape était alors soumis à tribut par les musulmans et Rome avait été pillée.
L'appel à la croisade de 1095 est le premier appel d'un pape au combat hors d'Europe. Effectivement, le pape Urbain II exporte la guerre, mais c'est pour retrouver le cœur de la chrétienté qui bat à Jérusalem, terre qui avait été gouvernée par des chrétiens depuis la conversion de Constantin et qui n'avait cessé de l'être qu'avec la conquête musulmane par les armes.
Quand l'appel d'Urbain II retentit, cela fait quatre siècles que les terres chrétiennes sont envahies, pillées et colonisés par les musulmans. Les chrétiens vaincus sont massacrés et réduits en esclavage !
Se peut-il que les croisades ne soient que de la légitime défense ?