Pardon et talion :
Si quelqu'un a tué volontairement et sans raison valable un humain, alors il y a la possibilité du talion ; il est recommandé (yustahabbu) que la famille de la victime pardonne ; cependant, elle a l'autorisation (yajûzu lahû) de demander le talion. Dieu dit dans le Coran : "Le talion vous a été prescrit à propos des personnes assassinées : l'homme libre pour l'homme libre, l'esclave pour l'esclave, la femme pour la femme. Celui à qui son frère aura pardonné quelque chose, alors (on lui fera) une requête convenable [le paiement du dédommagement], et (il s'en) acquittera de bonne grâce. Ceci est un allègement et une miséricorde de la part de votre Seigneur. Celui qui transgresse après cela aura un châtiment douloureux" (Coran 2/178).
Il faut cependant noter que c'est aux autorités judiciaires et exécutives, et non à la famille de la victime, que revient le droit d'appliquer concrètement le talion (quand cela est possible, voir ce lien :http://www.maison-islam.com/articles/?p=228 ) (Al-Mughnî 11/421).
La même chose peut être dite à propos des coups volontaires ayant entraîné des blessures ou des dommages physiques. Ici encore, d'après un avis (il semble l'avis pertinent sur le sujet), c'est aux autorités judiciaires et exécutives, et non à la victime ou à sa famille, que le droit d'appliquer le talion revient (Al-Mughnî 11/445) ; on ne peut pas se faire justice soi-même pour ce genre de cas. Dès lors, si quelqu'un a blessé une personne au doigt volontairement et sans raison valable, en pays musulman elle peut demander aux autorités que, par talion, il soit lui aussi blessé de la même façon au doigt, car cela relève de la catégorie D.
Cependant, si quelqu'un a violé une femme, celle-ci ne peut évidemment pas demander que, par talion, le coupable subisse quelque chose de comparable, car le caractère sacré des parties intimes relève du "droit de Dieu" (harâm li 'aynih), ce qui ne peut être rendu autorisé par talion ; le coupable sera, ici, sanctionné d'une autre façon.
De même, si quelqu'un a fait du tort à quelqu'un par le biais de la sorcellerie, la famille de la victime ne peut pas, par vengeance, faire jeter un sort au coupable, vu que l'interdit de la sorcellerie relève des "droits de Dieu".
Le Prophète pratiquait le pardon en ce qui concernait ses droits personnels (ce pardon est recommandé, comme le disent des versets coraniques, dont nous allons citer un). Aïcha relate : "Et le Messager de Dieu ne s'est jamais vengé pour lui-même en quoi que ce soit. Ce n'est que lorsque la hurma de Dieu [= ce qui relève du droit de Dieu] était transgressée qu'il sanctionnait pour Dieu" (rapporté par al-Bukhârî et Muslim, Riyâd us-sâlihîn, 639 ; voir aussi 642).
Cependant, celui qui rend "parole pour parole" ne fait que rester dans l'autorisé (jâ'ïz), et aucun reproche ne peut lui être fait du moment qu'il a été réellement lésé (et que tout ne repose pas sur une mauvaise pensée - sû' uz-zann - de sa part, ni qu'il relate aux gens ce que l'autre personne lui a fait en omettant de leur dire qu'en réalité c'est lui qui l'a de nombreuses fois lésée en premier, quand aucun humain n'était présent) et qu'il ne dépasse pas la mesure (nous y reviendrons plus bas).
Dieu dit dans le Coran : "Et ceux qui, lorsqu'une injustice les atteint, se vengent. La sanction d'une mauvaise chose est une chose semblable. Celui qui pardonne et réforme, sa récompense incombe à Dieu ; Il n'aime pas les injustes. Et celui qui se venge après avoir été lésé, ceux-là aucune voie contre eux. Il n'y a de voie que contre ceux qui lèsent les hommes et commettent sur la terre des abus [en agissant] hors du droit ; ceux-là auront un châtiment douloureux. Et certes, celui qui aura fait preuve de patience et aura pardonné, cela fait partie des choses de bonne résolution" (Coran 42/39-43).
Par ailleurs, cette recommandation du pardon est la règle de l'action normale (fî nafsih). Mais certains ulémas sont d'avis que s'il y a quelqu'un qui exagère et ne cesse de faire du tort aux gens, ceci constitue une cause exceptionnelle ('âridh) où il peut devenir mieux (afdhal) de lui rendre [au moins une fois] la pareille, afin qu'il comprenne le tort qu'il fait aux autres (Ahkum ul-qur'ân, Ibn ul-Arabî, 4/92-93). Cheikh Thânwî a lui aussi fait allusion à ce point par rapport à la distinction entre "hukm ul-af'âl fî anfusihâ", et "hukmuhâ li-l-'awâridh" (Bayân ul-qur'ân, tome 10 p. 75, note de bas de page).
En vertu de la règle normale, si quelqu'un a médit ou ridiculisé une personne, il est recommandé (yustahabbu) que la personne à la dignité ainsi bafouée pardonne ; cependant, cette personne a l'autorisation (yajûzu lahû) de lui rendre la pareille, c'est-à-dire de parler, devant autant de personnes et avec la même intensité, des défauts réels de l'homme qui a lésé son droit : il s'agit d'un "droit de la personne", et, par talion il devient autorisé de rendre la pareille à la personne. C'est la même règle qui prévaut si quelqu'un traite une autre personne de "chien" ou d'"âne" (MF 28/380-381).
Par contre, si quelqu'un a calomnié une personne – c'est-à-dire a menti à son sujet, par exemple en colportant à son propos un propos qu'elle n'a jamais tenu, ou un acte qu'elle n'a jamais commis –, cette personne peut-elle, par talion, le calomnier lui aussi de la même façon et dans les mêmes proportions ? Non, car mentir – hors des cas stipulés dans les textes (voir Sahîh Muslim, 2605) – étant un interdit de type "droit de Dieu" (MF 28/381, MS 3/95), cela ne devient autorisé ni par l'autorisation d'une personne, ni par talion vis-à-vis d'une personne ; on voit ici, de nouveau, la différence entre "les droits de Dieu" et "les droits des personnes". Il est, ici encore, demandé à la personne lésée de pardonner, mais si elle tient à rendre la pareille, elle ne pourra dire que des choses vraies concernant celui qui l'a calomniée.
De même, si, sans se fonder sur quelque chose qui puisse être pris en considération, un musulman traite un second de "kâfir" – terme qui signifie "incroyant" et désigne (entre autres) celui qui ne croit pas en le dernier message révélé (soit, aujourd'hui, le non-musulman) –, le second ne peut, par talion, traiter le premier du même terme, car le "kufr" relève de la relation vis-à-vis de Dieu (MF 28/381, MS 3/95). Il est vrai que certains ulémas sunnites ont affirmé que les musulmans déviants qui les traitent de "kafirs", ils les traiteront en retour de "kâfirs" ("Nukaffiru man yukaffirunâ") ; cependant cette affirmation – qui en plus ne fait pas l'unanimité chez les sunnites – concerne en fait un cas différent : le cas où les déviants traitent les sunnites de "kâfirs" en voulant dire que les croyances auxquelles ces sunnites adhèrent constituent du "kufr" : c'est le fait d'avoir traité les croyances orthodoxes de "kufr" qui constitue parole de kufr, et c'est pourquoi ces ulémas sunnites ont fait cette affirmation ("Nukaffiru man yukaffirunâ"). Ce cas reste différent du premier, où nous parlions du fait de traiter un musulman de "non-musulman" en guise de "mot dur", sans référence à quelque chose qui puisse être pris en considération (comme le sont les cas de figure mentionnés dans Sahîh ul-Bukhârî, kitâb 81 bâb 74 ; kitâb 92 bâb 8).
De même, si un homme a séduit l'épouse de quelqu'un, ce dernier ne peut pas rendre la pareille en tentant de séduire l'épouse du premier, vu que cela contredit un interdit qui relève du "droit de Dieu".
De même encore, si quelqu'un a dénigré ouvertement le père d'une personne en parlant de ses défauts réels, cette personne ne peut pas dénigrer – fût-ce dans la même proportion – le père du premier monsieur, car ce serait bafouer le "droit d'une personne" autre que le coupable ; de même, si quelqu'un insulte la famille d'une personne, celle-ci ne peut pas insulter sa famille à lui, car eux ne lui ont rien fait ; la même chose peut être dite des gens de la ville d'une personne (MF 28/381).