voiçi un article très intéressant sur les prophètes, tiré du dictionnaire encyclopédique de la bible (désolé si c'est long à lire le site n'autorise pas le lien):
1 L'A.T.
A
Nom. Le terme p. (gr. prophētēs) correspond d'ordinaire, dans les LXX à l'hb. nābî’, dont l'étymologie est discutée; on le rapproche du verbe nābā’ (en akk. nabû: crier, proclamer, confirmer); le sens premier de nābî’ signifierait à l'actif: “celui qui proclame”, au passif: “celui qui est appelé”, mais Am 7,14 ne confirme pas cette traduction. La signification du nābî' s'est modifiée tout au long des siècles. A l'origine, ces gens se font remarquer par des crises d'exaltation qu'ils provoquent notamment à l'aide d'instruments de musique (1 S 10,5s; 2 R 3,15), et qui les laissent pantelants (1 S 19,24; cf. Ez 3,15). Ces crises sont diversément expliquées; elles sont considérées comme des actes de délire: à l'hitpaél, le verbe nābā’ signifierait selon certains: “délirer” ce qui expliquerait les sarcasmes dont ces gens sont la cible (1 S 10,10-12), jusqu'à l'époque d'Osée (9,7), de Jérémie (29,8). Mais le même verbe permet un jugement plus optimiste; ces gens “prophétisent” (nābā’, au niph‘al), dit-on à leur sujet; on explique alors leur exaltation comme un mouvement de “l'esprit” (1 S 19,20-23; Os 9,7); cet “esprit” serait celui-là même que Moïse avait reçu (Nb 11,25) et qui fait de chacun de ces gens “un autre homme” 1 S 10,6. A noter pourtant que ni Amos, ni Isaïe, ni Michée, ni Jérémie ne se donnent le nom de nābî’; Amos (7,14), qui estime cependant “prophètes et nazîrs” (2,11s), ainsi que Michée (3,8) refusent explicitement ce titre. Isaïe nomme sa femme “la prophétesse” 8,2. Comme Jérémie (28,5s.10-15; 42,2; 43,6; 45,1), il n'est appelé nābî’ (37,2; 38,1) que par les autres, cependant que Nahum, Habaquq, Aggée et Zacharie le sont par les rédacteurs de leurs écrits. Seul Ézéchiel se donne ce nom.
La traduction des LXX est quelque peu inspirée par le désir de distinguer les p. bibliques des devins grecs chargés de “prédire” l'avenir. Les LXX utilisent les mots: prophētēs (de pro et phēmi: “parler à la place de”, ou mieux: “pro-férer”) qui signifie “orateur, héraut”, et le verbe prophēteuein: “parler au nom de la divinité, révéler des choses obscures”, mais jamais “prédire” (gr. manteuomai).
B
Origine et histoire. Le courant du prophétisme biblique présente suffisamment d'affinités avec des personnages (fonctionnaires royaux, employés cultuels, professionnels de l'extase) attestés à Mari, en Mésopotamie, en Syrie et en Phénicie, et à un degré moindre en Égypte, pour qu'on soit contraint de voir dans le phénomène prophétique répandu dans tout l'ancien Orient l'image et l'origine de son correspondant biblique. En dernier ressort, c'est l'influence de Canaan qui a provoqué la naissance du prophétisme biblique. Les premières manifestations de p. en Israël nous sont inconnues; les textes tardifs mis à part (ils reflètent les conceptions de leur époque) tels que Gn 20,7 (cf. Ps 105,15), Ex 4,16; 7,1 (le nābî' est identifié à une “bouche”, il est donc celui qui parle “au nom” de quelqu'un) Dt 18,18; 34,10; Nb 11,24-29; 12,6s et mises à part également les qualifications de date plus récente (Ex 15,20; Jg 4,4; 6,8-10), les nebî’îm apparaissent sous Samuel. Ils sont alors suffisamment connus pour être critiqués (1 S 10,10-12). Le glossateur de 1 S 9,9 croit pouvoir les identifier aux “voyants”, fonction et titre vraisemblablement plus anciens et davantage admis. Dès qu'ils apparaissent, ils sont groupés, vivant en communauté. Le phénomène est attesté, suivant les époques, dans le Sud et dans le Nord (p. ex. 2 R 2,3-5, au temps d'Élie et d'Élisée). Ils sont souvent appelés “fils de nābîs” (1 R 20,35; 2 R 2,3.5.7.15; 4,1.38; 5,22; 6,1; 9,1), ce qui est un synonyme de nebî’îm (Am 7,14; comp. 1 R 20,35 et 20,41; 2 R 9,1 et 9,4). Ces nebî’îm ont un chef (1 S 19,20; 2 R 4,38; 6,1; cf. 1 R 22,1s), qu'on appelle “seigneur” (2 R 6,5; cf. 4,1, “père”, 2 R 6,21; 8,9; 13,14). Ils vivent ensemble (2 R 5,38-41; 6,1); certains d'entre eux sont mariés (4,1); ils se sustentent d'aumônes (4,8.42; 5,22). Ils portent comme signes distinctifs un manteau de poil (souvenir de l'époque pastorale et du temps du désert?) et une ceinture de cuir (Za 13,4; cf. 2 R 1,8; Mt 3,4), un signe sur le front (1 R 20,35-43) et les cicatrices (Za 13,5) des blessures qu'ils se sont infligées au cours de leurs transes (1 R 18,28).
Lorsque l'esprit de Dieu s'empare des nebî’îm, ils “prophétisent”, ils deviennent “d'autres hommes” (1 S 10,6.9), ils entrent dans un état psychologique qui se traduit par des chants (10,5), des cris, des invocations répétées (1 R 22,10.12; 18,26.28), des “gestes symboliques” (22,11), des mouvements rythmiques et des danses (Ex 15,20; 1 R 18,26; cf. 2 S 6,5s.15; 1 S 18,6s) au son des instruments de musique. Cet état est contagieux (1 S 10,9s; 19,20s.23; 1 R 22,10-12). Parfois, les nābî’ se donnent des blessures sanglantes au moyen de leurs armes (1 R 18,28; Za 13,6), s'arrachent les vêtements (1 S 19,24; cf. Is 20,2; Mi 1,8), ou épuisés, tombent sans connaissance (1 S 19,24; cf. Dn 8,18.27; 19,8s). Ces nebî’îm ont soutenu l'influence de ce défenseur de la tradition yahviste qu'était Samuel (1 S 15,16.22; 19,18-24). Plus tard, ils prennent part, autour d'Élie et d'Élisée, à la lutte contre le culte du Baal (1 R 18,4.13.22; 20,35.42); c'est pourquoi ils sont persécutés par les Omrides (19,2.10.14). A l'instigation d'Élisée, un des ces nebî’îm suscite, contre cette dynastie, la révolte de Jéhu à qui il confère l'onction royale (2 R 9).
Bien qu'ils aient subi, à l'origine, l'influence de Canaan, leur présence et leur action tendent à la défense de l'originalité d'Israël. Ils combattent la domination politico-sociale (Élie et Nabot), des Cananéens et des voisins Syrophéniciens, et surtout leur influence religieuse; ils luttent donc pour l'authenticité de la tradition mosaïque (le pèlerinage d'Élie à l'Horeb, 1 R 19), c'est-à-dire de la foi yahviste.
Tout comme des devins et des sages étaient rattachés aux cours orientales (Gn 41,18; Is 19,3.11s; Dn 1,20; 2,2), de même certains nebî’îm sont attachés au service de David: Natân (2 S 7,1-17; 12,1-15; 1 R 1,8-11.22.32), Gad (2 S 24,11.18), peut-être aussi déjà de Saül (1 S 28,6); on en voit près de Josaphat (2 R 3,11-20); ils transmettent au souverain les ordres de Dieu; on peut les appeler “prophètes de cour”; leur existence est encore attestée après l'exil Ne 6,7. D'autres doivent être attachés au service du Temple: la tonalité liturgique des oeuvres d'un Nahum, d'un Habaquq pourrait trouver là son explication. Dans le sanctuaire, ils donnent leurs oracles, cependant que d'autres p. apparaissent à l'écart de toute institution: Ahiyya de Silo (1 R 11,29; 14), “l'homme de Dieu” de Juda (1 R 13), Jéhu, sous Basha (16,1), Hulda (2 R 22,14-17). Il arrive à ces gens d'intervenir de leur propre autorité, même auprès du roi, pour faire connaître la volonté de Dieu (p. ex. 2 S 12,1-15; 24,11-14.18s; 1 R 11,29-39; 13,1-3; 16,1-4; 17,1; 18,1s.41-45; 20,13s).
Ceux que nous disons “les prophètes”: les “grands”, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, ainsi que “les petits prophètes”, dont les paroles nous ont été conservées, se montrent sévères vis-à-vis de ceux qu'ils nommaient les “prophètes”. C'est que depuis longtemps, déjà – le fait est supposé par Am 7,14 – le mouvement prophétique a dévié. Le conformisme politique des uns, la pression exercée par les adeptes du Baal (1 R 18,4), provoquent gauchissements et compromissions qui aboutissent à ce que nous nommons “les faux prophètes”.
Notons qu'après le Ve siècle, la Bible ne parle plus de nebî’îm. Ps 74,9 regrette l'absence de p., que 1 M 4,46 et 14,41 connaît encore. D'autres gens prennent leur place; depuis longtemps, les prêtres décernent des oracles dans le sanctuaire; et puis l'Esprit se manifeste par la bouche de chantres (1 Ch 25,1; 2 Ch 20,14) et les sages se font les éducateurs du peuple: leur discours ressemble à celui des p. (Pr 1,20; etc. comparé à Jr 5,1; 7,2), dont ils prennent, à l'occasion, le titre (Si 24,33; Sg 7,27).
C
Les “faux prophètes”. Les condamnations lancées par Jr 23,9-40, Ez 13 et déjà Am 7,14 et Os 12,11, montrent qu'une polémique divise effectivement le mouvement prophétique. Les p. dont nous lisons les textes adressent aux autres divers reproches: mensonges fanfarons (So 3,4), cupidité (Mi 3,5.11), flagornerie (1 R 22,13; Is 30,10; Jr 5,31; Mi 2,11), immoralité (adultère: Jr 23,14; 29,23; ivrognerie: Is 28,7), oubli du nom divin (Jr 23,27), conformisme; ils endurcissent les scélérats (Jr 23,14; Ez 13,22), égarent le peuple (Jr 23,32; 29,8; Ez 13,10), qu'ils ne poussent pas à la conversion (cf. infra). Ils sont capables de parler au nom des dieux étrangers (Dt 18,20) et d'entraîner le peuple à suivre ces dieux (Dt 13,2.6).
Qui sont ces “faux prophètes”? Que signifient leur parole et les signes: actes symboliques (1 R 22,11; Jr 28), visions et songes (Jr 23,25.27; Ez 13,6.16; Mi 3,6), miracles (Dt 13,2-6), qui confirment leur prédication? Il faut reconnaître que les auteurs (Jr, Ez, Dt, etc.) ne sont pas allés chercher d'explication dans la psychologie des p.; et cela, même si connaissant le mensonge de leurs prétendues visions (Jr 23,16; Ez 13,3), et les sachant coupables, le Dt demande que ces p. soient mis à mort (13,6; 18,20). Les auteurs s'intéressent au dessein de Dieu, dont ils proposent plusieurs explications. Dieu a institué ces p. pour qu'ils empêchent Israël de recourir aux devins et aux sorciers: une sorte de moindre mal (Dt 18,9.22; cf. Ne 9,30; Za 7,12). Ou bien, Dieu leur a envoyé “un esprit de mensonge” (1 R 22,23), afin d'égarer son peuple par de fausses promesses de salut (Jr 4,10; cf. Ez 14,9). Dans le même sens, Isaïe se dit envoyé pour dire une parole qui ne susciterait que l'incrédulité, provoquant l'extermination du peuple et la survie de la “souche”, germe d'un peuple futur (Is 6,9-13); de son côté, Ézéchiel doit proclamer un message dont l'échec conduira au but ultime de l'histoire: la manifestation décisive de la gloire de Yahvé: “Alors, on connaîtra que je suis le Seigneur” (cf. Ez 2-3). La conviction est partagée cependant que seule la mission des “vrais” p. est divine (Dt 18,21; Jr 14,14; 23,21s.32; Ez 13,6s). Le but des scènes de mission prophétique (Is 6; Jr 1; Ez 1-3) est d'affirmer l'authenticité du p. qui en bénéficie, de montrer que, malgré les échecs de sa prédication (Is, Ez), ce p. est, au milieu de prétendus p., seul envoyé par Dieu, unique dépositaire de la mission (Jr). Certes, des p. qui sont envoyés par Dieu n'appartiennent pas à une humanité différente: eux aussi peuvent être infidèles (1 R 13,11-22; Ez 3,17-21; Dt 13,2-5) et fuir la parole de Dieu comme Élie (1 R 19,3) et son imitation Jonas (Jon 1). Cette infidélité, leur incompréhension éventuelle du message qu'ils ont à publier (Jon 4), ne modifient pas l'origine divine de l'appel reçu: Élie est renvoyé à sa tâche (1 R 19,5) et Jonas se retrouve sur le chemin de Ninive (Jon 3). C'est donc la seule mission divine dont ils ont la certitude qui les rend capables d'aller à l'encontre de leurs propres intérêts (Jr 16; mais cf. Mi 3,5), de prendre l'exact contre-pied de leurs auditeurs. Car ces “faux” p. sont des “prophètes de paix”; ils s'emploient à rassurer le peuple en lui promettant la paix comme une conséquence nécessaire de l'alliance (Mi 3,11; Jr 23,17; 28,2s). Aussi Ez 13,5 les accuse de ne pas avoir été sur la brèche, de ne pas s'être opposés à la décadence morale et religieuse du peuple et de n'avoir pas exhorté Israël à la pénitence (cf. Ez 3,17-21; 33,2-9; Jr 23,22).
Mais si les p. sont certains de la mission divine, comment faire partager leur conviction? La présentation en forme de drame de l'appel reçu est un moyen de la communiquer; mais la seule vérification objective du caractère divin de la mission est celle qu'apportent les faits. Jr 28,9 admet qu'un nābî’ qui a été réellement envoyé par Yahvé sera reconnu comme tel lorsque le bonheur qu'il prédit se réalisera; dans le même sens Dt 18,22 considère comme “faux” p., comme p. “présomptueux” celui dont la parole ne sera pas accomplie. Finalement la véritable distinction entre les p. doit être recherchée dans leur conception de l'alliance. Les faux p. pensaient, tout comme le peuple, que par l'alliance, Yahvé était lié envers Israël d'une façon inconditionnelle et pour toujours; ils oubliaient que Yahvé est un Dieu moral, qui a conclu l'alliance volontairement, par pure miséricorde, en vue de promouvoir le bien-être moral et religieux du peuple, plus que sa prospérité matérielle et nationale; que Yahvé apporterait donc non pas le salut, mais le malheur, tant qu'Israël ne se tournerait pas vers lui. Telle est précisément la doctrine de tous les vrais prophètes, le sens des réflexions convergentes d'Amos sur la portée de l'exode (9,7) et de l'élection (3,2), d'Isaïe (6), sur Yahvé-Saint d'Israël qui consumera le peuple, de Michée (3,9-12) sur l'habitation de Dieu en Sion, garantie recherchée dans le Temple.
A
Nom. Le terme p. (gr. prophētēs) correspond d'ordinaire, dans les LXX à l'hb. nābî’, dont l'étymologie est discutée; on le rapproche du verbe nābā’ (en akk. nabû: crier, proclamer, confirmer); le sens premier de nābî’ signifierait à l'actif: “celui qui proclame”, au passif: “celui qui est appelé”, mais Am 7,14 ne confirme pas cette traduction. La signification du nābî' s'est modifiée tout au long des siècles. A l'origine, ces gens se font remarquer par des crises d'exaltation qu'ils provoquent notamment à l'aide d'instruments de musique (1 S 10,5s; 2 R 3,15), et qui les laissent pantelants (1 S 19,24; cf. Ez 3,15). Ces crises sont diversément expliquées; elles sont considérées comme des actes de délire: à l'hitpaél, le verbe nābā’ signifierait selon certains: “délirer” ce qui expliquerait les sarcasmes dont ces gens sont la cible (1 S 10,10-12), jusqu'à l'époque d'Osée (9,7), de Jérémie (29,8). Mais le même verbe permet un jugement plus optimiste; ces gens “prophétisent” (nābā’, au niph‘al), dit-on à leur sujet; on explique alors leur exaltation comme un mouvement de “l'esprit” (1 S 19,20-23; Os 9,7); cet “esprit” serait celui-là même que Moïse avait reçu (Nb 11,25) et qui fait de chacun de ces gens “un autre homme” 1 S 10,6. A noter pourtant que ni Amos, ni Isaïe, ni Michée, ni Jérémie ne se donnent le nom de nābî’; Amos (7,14), qui estime cependant “prophètes et nazîrs” (2,11s), ainsi que Michée (3,8) refusent explicitement ce titre. Isaïe nomme sa femme “la prophétesse” 8,2. Comme Jérémie (28,5s.10-15; 42,2; 43,6; 45,1), il n'est appelé nābî’ (37,2; 38,1) que par les autres, cependant que Nahum, Habaquq, Aggée et Zacharie le sont par les rédacteurs de leurs écrits. Seul Ézéchiel se donne ce nom.
La traduction des LXX est quelque peu inspirée par le désir de distinguer les p. bibliques des devins grecs chargés de “prédire” l'avenir. Les LXX utilisent les mots: prophētēs (de pro et phēmi: “parler à la place de”, ou mieux: “pro-férer”) qui signifie “orateur, héraut”, et le verbe prophēteuein: “parler au nom de la divinité, révéler des choses obscures”, mais jamais “prédire” (gr. manteuomai).
B
Origine et histoire. Le courant du prophétisme biblique présente suffisamment d'affinités avec des personnages (fonctionnaires royaux, employés cultuels, professionnels de l'extase) attestés à Mari, en Mésopotamie, en Syrie et en Phénicie, et à un degré moindre en Égypte, pour qu'on soit contraint de voir dans le phénomène prophétique répandu dans tout l'ancien Orient l'image et l'origine de son correspondant biblique. En dernier ressort, c'est l'influence de Canaan qui a provoqué la naissance du prophétisme biblique. Les premières manifestations de p. en Israël nous sont inconnues; les textes tardifs mis à part (ils reflètent les conceptions de leur époque) tels que Gn 20,7 (cf. Ps 105,15), Ex 4,16; 7,1 (le nābî' est identifié à une “bouche”, il est donc celui qui parle “au nom” de quelqu'un) Dt 18,18; 34,10; Nb 11,24-29; 12,6s et mises à part également les qualifications de date plus récente (Ex 15,20; Jg 4,4; 6,8-10), les nebî’îm apparaissent sous Samuel. Ils sont alors suffisamment connus pour être critiqués (1 S 10,10-12). Le glossateur de 1 S 9,9 croit pouvoir les identifier aux “voyants”, fonction et titre vraisemblablement plus anciens et davantage admis. Dès qu'ils apparaissent, ils sont groupés, vivant en communauté. Le phénomène est attesté, suivant les époques, dans le Sud et dans le Nord (p. ex. 2 R 2,3-5, au temps d'Élie et d'Élisée). Ils sont souvent appelés “fils de nābîs” (1 R 20,35; 2 R 2,3.5.7.15; 4,1.38; 5,22; 6,1; 9,1), ce qui est un synonyme de nebî’îm (Am 7,14; comp. 1 R 20,35 et 20,41; 2 R 9,1 et 9,4). Ces nebî’îm ont un chef (1 S 19,20; 2 R 4,38; 6,1; cf. 1 R 22,1s), qu'on appelle “seigneur” (2 R 6,5; cf. 4,1, “père”, 2 R 6,21; 8,9; 13,14). Ils vivent ensemble (2 R 5,38-41; 6,1); certains d'entre eux sont mariés (4,1); ils se sustentent d'aumônes (4,8.42; 5,22). Ils portent comme signes distinctifs un manteau de poil (souvenir de l'époque pastorale et du temps du désert?) et une ceinture de cuir (Za 13,4; cf. 2 R 1,8; Mt 3,4), un signe sur le front (1 R 20,35-43) et les cicatrices (Za 13,5) des blessures qu'ils se sont infligées au cours de leurs transes (1 R 18,28).
Lorsque l'esprit de Dieu s'empare des nebî’îm, ils “prophétisent”, ils deviennent “d'autres hommes” (1 S 10,6.9), ils entrent dans un état psychologique qui se traduit par des chants (10,5), des cris, des invocations répétées (1 R 22,10.12; 18,26.28), des “gestes symboliques” (22,11), des mouvements rythmiques et des danses (Ex 15,20; 1 R 18,26; cf. 2 S 6,5s.15; 1 S 18,6s) au son des instruments de musique. Cet état est contagieux (1 S 10,9s; 19,20s.23; 1 R 22,10-12). Parfois, les nābî’ se donnent des blessures sanglantes au moyen de leurs armes (1 R 18,28; Za 13,6), s'arrachent les vêtements (1 S 19,24; cf. Is 20,2; Mi 1,8), ou épuisés, tombent sans connaissance (1 S 19,24; cf. Dn 8,18.27; 19,8s). Ces nebî’îm ont soutenu l'influence de ce défenseur de la tradition yahviste qu'était Samuel (1 S 15,16.22; 19,18-24). Plus tard, ils prennent part, autour d'Élie et d'Élisée, à la lutte contre le culte du Baal (1 R 18,4.13.22; 20,35.42); c'est pourquoi ils sont persécutés par les Omrides (19,2.10.14). A l'instigation d'Élisée, un des ces nebî’îm suscite, contre cette dynastie, la révolte de Jéhu à qui il confère l'onction royale (2 R 9).
Bien qu'ils aient subi, à l'origine, l'influence de Canaan, leur présence et leur action tendent à la défense de l'originalité d'Israël. Ils combattent la domination politico-sociale (Élie et Nabot), des Cananéens et des voisins Syrophéniciens, et surtout leur influence religieuse; ils luttent donc pour l'authenticité de la tradition mosaïque (le pèlerinage d'Élie à l'Horeb, 1 R 19), c'est-à-dire de la foi yahviste.
Tout comme des devins et des sages étaient rattachés aux cours orientales (Gn 41,18; Is 19,3.11s; Dn 1,20; 2,2), de même certains nebî’îm sont attachés au service de David: Natân (2 S 7,1-17; 12,1-15; 1 R 1,8-11.22.32), Gad (2 S 24,11.18), peut-être aussi déjà de Saül (1 S 28,6); on en voit près de Josaphat (2 R 3,11-20); ils transmettent au souverain les ordres de Dieu; on peut les appeler “prophètes de cour”; leur existence est encore attestée après l'exil Ne 6,7. D'autres doivent être attachés au service du Temple: la tonalité liturgique des oeuvres d'un Nahum, d'un Habaquq pourrait trouver là son explication. Dans le sanctuaire, ils donnent leurs oracles, cependant que d'autres p. apparaissent à l'écart de toute institution: Ahiyya de Silo (1 R 11,29; 14), “l'homme de Dieu” de Juda (1 R 13), Jéhu, sous Basha (16,1), Hulda (2 R 22,14-17). Il arrive à ces gens d'intervenir de leur propre autorité, même auprès du roi, pour faire connaître la volonté de Dieu (p. ex. 2 S 12,1-15; 24,11-14.18s; 1 R 11,29-39; 13,1-3; 16,1-4; 17,1; 18,1s.41-45; 20,13s).
Ceux que nous disons “les prophètes”: les “grands”, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, ainsi que “les petits prophètes”, dont les paroles nous ont été conservées, se montrent sévères vis-à-vis de ceux qu'ils nommaient les “prophètes”. C'est que depuis longtemps, déjà – le fait est supposé par Am 7,14 – le mouvement prophétique a dévié. Le conformisme politique des uns, la pression exercée par les adeptes du Baal (1 R 18,4), provoquent gauchissements et compromissions qui aboutissent à ce que nous nommons “les faux prophètes”.
Notons qu'après le Ve siècle, la Bible ne parle plus de nebî’îm. Ps 74,9 regrette l'absence de p., que 1 M 4,46 et 14,41 connaît encore. D'autres gens prennent leur place; depuis longtemps, les prêtres décernent des oracles dans le sanctuaire; et puis l'Esprit se manifeste par la bouche de chantres (1 Ch 25,1; 2 Ch 20,14) et les sages se font les éducateurs du peuple: leur discours ressemble à celui des p. (Pr 1,20; etc. comparé à Jr 5,1; 7,2), dont ils prennent, à l'occasion, le titre (Si 24,33; Sg 7,27).
C
Les “faux prophètes”. Les condamnations lancées par Jr 23,9-40, Ez 13 et déjà Am 7,14 et Os 12,11, montrent qu'une polémique divise effectivement le mouvement prophétique. Les p. dont nous lisons les textes adressent aux autres divers reproches: mensonges fanfarons (So 3,4), cupidité (Mi 3,5.11), flagornerie (1 R 22,13; Is 30,10; Jr 5,31; Mi 2,11), immoralité (adultère: Jr 23,14; 29,23; ivrognerie: Is 28,7), oubli du nom divin (Jr 23,27), conformisme; ils endurcissent les scélérats (Jr 23,14; Ez 13,22), égarent le peuple (Jr 23,32; 29,8; Ez 13,10), qu'ils ne poussent pas à la conversion (cf. infra). Ils sont capables de parler au nom des dieux étrangers (Dt 18,20) et d'entraîner le peuple à suivre ces dieux (Dt 13,2.6).
Qui sont ces “faux prophètes”? Que signifient leur parole et les signes: actes symboliques (1 R 22,11; Jr 28), visions et songes (Jr 23,25.27; Ez 13,6.16; Mi 3,6), miracles (Dt 13,2-6), qui confirment leur prédication? Il faut reconnaître que les auteurs (Jr, Ez, Dt, etc.) ne sont pas allés chercher d'explication dans la psychologie des p.; et cela, même si connaissant le mensonge de leurs prétendues visions (Jr 23,16; Ez 13,3), et les sachant coupables, le Dt demande que ces p. soient mis à mort (13,6; 18,20). Les auteurs s'intéressent au dessein de Dieu, dont ils proposent plusieurs explications. Dieu a institué ces p. pour qu'ils empêchent Israël de recourir aux devins et aux sorciers: une sorte de moindre mal (Dt 18,9.22; cf. Ne 9,30; Za 7,12). Ou bien, Dieu leur a envoyé “un esprit de mensonge” (1 R 22,23), afin d'égarer son peuple par de fausses promesses de salut (Jr 4,10; cf. Ez 14,9). Dans le même sens, Isaïe se dit envoyé pour dire une parole qui ne susciterait que l'incrédulité, provoquant l'extermination du peuple et la survie de la “souche”, germe d'un peuple futur (Is 6,9-13); de son côté, Ézéchiel doit proclamer un message dont l'échec conduira au but ultime de l'histoire: la manifestation décisive de la gloire de Yahvé: “Alors, on connaîtra que je suis le Seigneur” (cf. Ez 2-3). La conviction est partagée cependant que seule la mission des “vrais” p. est divine (Dt 18,21; Jr 14,14; 23,21s.32; Ez 13,6s). Le but des scènes de mission prophétique (Is 6; Jr 1; Ez 1-3) est d'affirmer l'authenticité du p. qui en bénéficie, de montrer que, malgré les échecs de sa prédication (Is, Ez), ce p. est, au milieu de prétendus p., seul envoyé par Dieu, unique dépositaire de la mission (Jr). Certes, des p. qui sont envoyés par Dieu n'appartiennent pas à une humanité différente: eux aussi peuvent être infidèles (1 R 13,11-22; Ez 3,17-21; Dt 13,2-5) et fuir la parole de Dieu comme Élie (1 R 19,3) et son imitation Jonas (Jon 1). Cette infidélité, leur incompréhension éventuelle du message qu'ils ont à publier (Jon 4), ne modifient pas l'origine divine de l'appel reçu: Élie est renvoyé à sa tâche (1 R 19,5) et Jonas se retrouve sur le chemin de Ninive (Jon 3). C'est donc la seule mission divine dont ils ont la certitude qui les rend capables d'aller à l'encontre de leurs propres intérêts (Jr 16; mais cf. Mi 3,5), de prendre l'exact contre-pied de leurs auditeurs. Car ces “faux” p. sont des “prophètes de paix”; ils s'emploient à rassurer le peuple en lui promettant la paix comme une conséquence nécessaire de l'alliance (Mi 3,11; Jr 23,17; 28,2s). Aussi Ez 13,5 les accuse de ne pas avoir été sur la brèche, de ne pas s'être opposés à la décadence morale et religieuse du peuple et de n'avoir pas exhorté Israël à la pénitence (cf. Ez 3,17-21; 33,2-9; Jr 23,22).
Mais si les p. sont certains de la mission divine, comment faire partager leur conviction? La présentation en forme de drame de l'appel reçu est un moyen de la communiquer; mais la seule vérification objective du caractère divin de la mission est celle qu'apportent les faits. Jr 28,9 admet qu'un nābî’ qui a été réellement envoyé par Yahvé sera reconnu comme tel lorsque le bonheur qu'il prédit se réalisera; dans le même sens Dt 18,22 considère comme “faux” p., comme p. “présomptueux” celui dont la parole ne sera pas accomplie. Finalement la véritable distinction entre les p. doit être recherchée dans leur conception de l'alliance. Les faux p. pensaient, tout comme le peuple, que par l'alliance, Yahvé était lié envers Israël d'une façon inconditionnelle et pour toujours; ils oubliaient que Yahvé est un Dieu moral, qui a conclu l'alliance volontairement, par pure miséricorde, en vue de promouvoir le bien-être moral et religieux du peuple, plus que sa prospérité matérielle et nationale; que Yahvé apporterait donc non pas le salut, mais le malheur, tant qu'Israël ne se tournerait pas vers lui. Telle est précisément la doctrine de tous les vrais prophètes, le sens des réflexions convergentes d'Amos sur la portée de l'exode (9,7) et de l'élection (3,2), d'Isaïe (6), sur Yahvé-Saint d'Israël qui consumera le peuple, de Michée (3,9-12) sur l'habitation de Dieu en Sion, garantie recherchée dans le Temple.