Yassine a écrit: Ibn Mujahid si on se rapporte à ce que tu dis, car moi j'ai pas trop d'infos sur le sujet, n'a fait que rapporter le Ijmaa (Consensus) et non par lui même a décidé de son gré ce qui est valide ou non parmi les Quiraat.
Pas du tout, non.
Ibn Mujahid a été très sévèrement critiqué pour sa volonté de délimiter les qira'at, pour le nombre de celles-ci et le choix particulier des siennes plutôt que d'autres, tout autant sinon parfois davantage supérieures à certains des Sept. Je me cite moi-même pour la suite du message :
Dans le fond, comme l’écrit Y. DUTTON, « les Sept Lecteurs résultaient uniquement du choix d’ibn Mujāhid »[1], et de lui seulement. Il fut donc à plusieurs reprises critiqué, d’abord sur le nombre des Lectures choisies, qui évidemment ne pouvait manquer de renvoyer au célèbre hadith sur les 7 Lettres et par là même provoquer une confusion parmi les gens[2], ensuite sur l’exclusion que le canon générait vis-à-vis d’autres Lectures à la fois renommées et fiables.[3] Ibn al-Jazarī a notamment reconnu et souligné à plusieurs reprises que de nombreux autres Lecteurs, tout aussi reconnus, crédibles et compétents que les Sept institués par Ibn Mujāhid, furent de facto rejetés par celui-ci.[4] On ne s’étonnera par conséquent guère de constater que de nombreuses autorités, opposées à la sélection d’Ibn Mujāhid, aient pu proposer des listes parallèles dont le nombre, mais aussi parfois le contenu, différait du canon de celui-ci. Ibn al-Jazarī, soucieux de légitimer l’ajout de 3 Lectures aux Sept, en cite plusieurs dans ses travaux : certains, tels Ibn Khālawayhi et Ibn Ghalbūn penchaient ainsi vers une sélection de huit Lectures, tandis que d’autres, tel Ibn Mihrān, préféraient un ensemble de dix Lectures. « D’autres se référaient », ainsi que l’écrit Y. DUTTON, « à treize, ou vingt Lecteurs, ou plus encore. A une époque plus tardive », continue-t-il, « quatorze Lecteurs devinrent un troisième standard […] (après les Sept et les Dix) […]. »[5] C’est dire que la limitation, voire parfois le choix d’Ibn Mujāhid, fut loin d’être assumé et agréé par tous à son époque. Aujourd’hui encore, vestige des controverses antiques, il y a divergence formelle pour considérer la valeur des Dix ou des Quatorze Lectures, même si le système des Sept a finalement prévalu dans le monde sunnite jusqu’à faire aujourd’hui consensus.
[1] DUTTON Y., Orality, literacy and the ‘seven aḥruf’ ḥadīth, Journal of Islamic Studies, n° 23, 2012, p. 6.
[2] Cf RABB I. A.., Non-Canonical Readings of the Qur’an , p. 22 et ss. ; NASSER S. H., The transmission of the Variant Readings, p. 61-65 ; MELCHERT C., The relation of the ten Readings to one another, Journal of Qur’anic Studies, n° 10, 2008, pp. 82-84, etc.
[3] Cf DUTTON Y., op. cit., p. 6.
[4] Ibn al-Jazarī, Munjid, pp. 215–216, in NASSER S. H., op. cit., p. 49.
[5] Ibn al-Jazarī, Nashr, vol. 1, pp. 33 ss. in DUTTON Y., op. cit., p. 6 ; voir également NASSER S. H., op. cit., p. 65 ; NÖLDEKE T. et al., The History of the Qurʾān, pp. 561-565.
Tumadir a écrit:Les deux compagnons se sont présentés auprès du prophète qui a approuvé les deux lectures. Pourquoi censurer le hadith ?
Je ne "censure pas", ça n'a simplement aucun intérêt d'en parler pour notre propos.
Tumadir a écrit:
Le Coran est descendu avec le langage qurayshite parce qu'il est le langage le plus complet et le plus clair. Néanmoins il faut noter que Quraysh compte plusieurs tribus, et à chaque tribu un dialecte qui lui est spécifique (peut être plus).
Jusqu'à preuve du contraire, le qurayshite est un dialecte et non une langue.
Sur quoi te bases-tu pour affirmer que chaque clan qurayshite posséder son propre dialecte ?
Tumadir a écrit:Que des spéculations, on n'a toujours pas compris ce que tu appelles transmissions imparfaite.
Je vois que tu as du mal à comprendre, ou à accepter.
Si je ne suis pas moi-même suffisamment clair, j'ose espérer que les auteurs que je lis le seront suffisamment pour toi. Au passage : ce qu'ils écrivent rejoignent mes propres observations de contradictions entre rapporteurs de Lectures canoniques, par exemple celle de 'Asim rendue différemment selon qu'on sollicite Hafs ou Schu'ba. On pourrait multiplier les exemples.
« Après la canonisation des sept Lectures opérée par Ibn Mujahid, les spécialistes en qira'at tentèrent d’authentifier davantage ces Lectures en se les réappropriant par des transmetteurs différents de ceux fournis par Ibn Mujahid. En d’autres termes, les lecteurs commencèrent à imiter les gens du hadith en corroborant une Lecture par davantage d’isnads. [...] Malheureusement, les résultats furent décevants ; en effet, à la différence du Hadith, le Coran ne peut pas supporter de variante. […] L’uniformité était le but recherché des spécialistes ; mais, plus ils cherchaient de transmission pour les sept Lecteurs, plus ils obtenaient de divergences. [...] Si toutes les transmissions d’une variante de lecture devaient être prises en considération, la plupart des versets auraient été rendu de par trop de manières différentes, toutes attribuées à un seul Lecteur. »
« Les savants musulmans désiraient un texte unifié, possédant des variantes bien délimitées, mais plus ils cherchaient des transmissions, plus ils obtenaient des variantes. Idéalement, le résultat escompté eut naturellement été de trouver chaque transmission corroborant la même variante, mais malheureusement, ce n’était pas le cas. […] Dans la volonté de minimiser les variantes, multipliées par le nombre de transmetteurs des Lectures canoniques, deux principaux transmetteurs ‘rawis’ furent alors choisis pour représenter chacune des Sept Lectures éponymes. Le reste des transmetteurs, sans regard pour leur crédibilité et leur valeur, tombèrent généralement dans l’oubli. N’importe quelle variante attribuée aux Lecteurs éponymes à travers des transmetteurs autre que les deux principaux Rawis devint lentement shadhdhah avec le temps. »
« Nous devrions maintenant être conscient que toutes les variantes attribuées aux Sept n’appartiennent pas pour autant aux Lectures canoniques. Il est naturel de comprendre que les lecteurs éponymes avaient plusieurs disciples qui, éventuellement, transmettaient ce qu’ils avaient appris à leurs propres élèves. Toutefois, leurs transmissions n’étaient guère cohérentes entre elles, ce qui devint clair assez tôt en ce que la seconde et la troisième génération de transmetteurs dut être limité à très peu de rawis afin de contrôler et de minimiser les variantes possibles. »
Cf NASSER S. H., The Transmission of the Variant Readings of the Qur’ān. The Problem of Tawātur and the Emergence of Shawādhdh, Brill, Leiden, 2013, coll. « Texts and Studies on the Qur'an », n° 9, pp. 122-23-24, 128, 126-127.
« J’aimerais aussi remarquer que les différents turuq [chaîne de transmission] et riwayat par lesquels nous connaissons les lectures des Dix ne sont pas toujours d’accord. Que la source du désaccord soit une correction délibérée de ce que leurs shaykhs avaient enseigné ou une erreur durant la récitation/transmission importe peu : ces contradictions induisent que ce que nous connaissons des lectures ne peut pas être considéré comme reproduisant avec certitude ce que différents Compagnons récitaient au septième siècle. »
« Par exemple, Nafi’, Ibn Kathir, ‘Asim selon Abu Bakr ; al-Kisa’i, Abu Ja’far, Ya’qub selon Ruways, et Khalaf lisent wasiyyatun li-azwajihim en Q.2 :240, là où Abu ‘Amr, Ibn ’Amir, ‘Asim selon Hafs, Hamza et Ya’qub selon Rawh et Zayd lisent wasiyyatan. »
Cf MELCHERT C., The relation of the ten Readings to one another, Journal of Qur’anic Studies, n° 10, 2008, pp. 80-81, 75.
« Comment devrions-nous comprendre les variantes shadhdh (‘irrégulière’, ‘non-normative’) attribuées à Nafi’ ? Ibn Khalawayhi, par exemple, mentionne quelque 30 variantes de Nafii’ qu’il considère comme probablement shadhdh, bien que certaines, impliquant la prononciation du hamza, semblent bien correspondre à la lecture ‘standard’ rapportée de lui. »
Cf DUTTON Y., Orality, literacy and the ‘seven aḥruf’ ḥadīth, Journal of Islamic Studies, n° 23, 2012, p. 7.