Crise de l'UE : "Si la France coule, l’Allemagne coulera aussi" assure Henrik Uterwedde
Henrik Uterwedde est directeur adjoint de l'Institut franco-allemand
de Ludwigsburg. Malgré les divergences qui persistaient vendredi entre
Paris et Berlin, il se dit optimiste et pense que les deux pays
parviendront à se mettre d’accord sur les solutions à apporter pour
éviter une contagion de la crise de la dette dans la zone euro.
Entretien.
Le blocage entre la France et l’Allemagne semble plus grand que jamais…
Les divergences franco-allemandes ne sont pas nouvelles. Elles sont
apparues dès le début de la crise actuelle, en 2008. La France poussait
pour un gouvernement économique européen, davantage de solidarité avec
la Grèce. Et la chancelière Angela Merkel donnait l’impression de
freiner. On pouvait lui reprocher d’être sous la pression des
eurosceptiques allemands, sans opposer de discours clair sur sa
démarche, sans expliquer pourquoi il fallait aider la Grèce. Mais ces
derniers mois, le débat avait un peu changé en Allemagne.
Le vote du Bundestag sur le Fonds européen de stabilité financière
(FESF), fin septembre, avait forcé le gouvernement à hausser le ton, à
définir sa stratégie et à l’expliquer. On avait l’impression qu’Angela
Merkel et son ministre des Finances Wolfgang Schaüble avaient repris
l’initiative. Ils étaient d’accord pour adopter des mesures d’urgence
(l’aide à la Grèce, le sauvetage des banques), des mesures à moyen terme
(l’adoption de règles plus contraignantes et de sanctions) et d’autres à
plus long terme, consistant à aller vers davantage de fédéralisme
fiscal.
A condition que le changement de traité que ce dernier point
impliquerait soit accompagné de davantage de contrôle. On avait
l’impression qu’enfin l’Allemagne avait fixé un cap, qu’elle était plus
proactive dans la recherche de solutions et qu’il y avait davantage de
convergence avec la France.
Que se passe-t-il, alors, aujourd’hui ?
Désormais, il y a des divergences de vue sur l’hypothèse d’une
réduction de 50% des créances détenues par les banques envers la Grèce,
pour soulager le pays. Cela gêne la France, car du coup, beaucoup
d’investisseurs privés vont perdre de l’argent, or les banques
françaises sont très exposées. Autre point de friction : la France
voudrait pouvoir avoir recours au FESF pour recapitaliser les banques.
Elle s’oppose sur ce point à un "nein" allemand, qui ne veut pas que le
FESF soit habilité à émettre de l’argent.
Comprenez-vous pour autant pourquoi les deux pays n’arrivent
pas à se mettre d’accord, alors qu’il y a urgence à trouver un compromis
?
Pas vraiment. Lorsqu’il s’est rendu à Francfort mercredi soir,
Nicolas Sarkozy voulait peut-être obtenir quelque chose d’Angela Merkel.
Et elle a dû lui dire non. Les choses se crispent à nouveau, nous
sommes dans le bras de fer. J’ai du mal à le comprendre, car sur le
fond, il y a une convergence de vues sur ce qu’il faut faire. Peut-être
que ce nouveau blocage s’explique par le fait que les deux gouvernements
se trouvent le dos au mur. Nicolas Sarkozy est acculé par la menace de
la perte du triple A de la France. La situation financière française est
très fragilisée.
Peut-être qu’Angela Merkel lui a dit qu’il fallait que la France
fasse des efforts supplémentaires. Or, en période électorale, c’est
difficile. Angela Merkel, elle, est plutôt sous la pression des
parlementaires : lors du vote sur le FESF au Bundestag, ils lui ont
clairement fait comprendre qu’ils n’iraient pas plus loin. Trouver un
compromis n’est pas facile, car ce sont des questions qui touchent le
cœur de nos modèles financiers et économiques.
Les gouvernements se sentent tributaires des opinions publiques,
d’électorats dont les intérêts ne convergent pas forcément. Il y a
peut-être un peu de mise en scène dans ce qui se passe ces jours-ci, une
partie de poker destinée à arracher des concessions et à sauver la face
vis-à-vis des électorats. Mais il reste une part d’inconnu que j’ai du
mal à cerner.
Restez-vous optimiste, tout de même ?
Bien sûr. Des couacs, on en a vu d’autres. On a toujours fini par
trouver un terrain d’entente in extremis. Les Français et les Allemands
vont rechercher très activement une solution commune. Ils ne peuvent pas
se permettre un échec.
Le fait que le triple A français soit menacé ne remet-il pas en cause l’équilibre du tandem franco-allemand ?
Je ne pense pas. D’abord, parce que la France va tout faire pour
trouver une solution. Car la menace est aussi politique : le pays
perdrait une bonne partie de sa crédibilité vis-à-vis de ses partenaires
européens. Ensuite, parce que l’Allemagne n’a pas envie de voir la
France en difficulté. Elle a intérêt à ce qu’elle reste un partenaire
stable. Car si la France coule, l’Allemagne coulera aussi, ce sera juste
un peu plus tard. Nous sommes dans le même bateau. C’est pour cela
qu’Angela Merkel a sans doute demandé des efforts à la France. On ne
peut pas reprocher à la chancelière d’être anti-européenne. Simplement,
être pour une solution européenne ne veut pas dire avaler celle que la
France impose. Elle veut y mettre sa sauce.
[b]Propos recueillis par Coralie Schaub
Henrik Uterwedde est directeur adjoint de l'Institut franco-allemand
de Ludwigsburg. Malgré les divergences qui persistaient vendredi entre
Paris et Berlin, il se dit optimiste et pense que les deux pays
parviendront à se mettre d’accord sur les solutions à apporter pour
éviter une contagion de la crise de la dette dans la zone euro.
Entretien.
Le blocage entre la France et l’Allemagne semble plus grand que jamais…
Les divergences franco-allemandes ne sont pas nouvelles. Elles sont
apparues dès le début de la crise actuelle, en 2008. La France poussait
pour un gouvernement économique européen, davantage de solidarité avec
la Grèce. Et la chancelière Angela Merkel donnait l’impression de
freiner. On pouvait lui reprocher d’être sous la pression des
eurosceptiques allemands, sans opposer de discours clair sur sa
démarche, sans expliquer pourquoi il fallait aider la Grèce. Mais ces
derniers mois, le débat avait un peu changé en Allemagne.
Le vote du Bundestag sur le Fonds européen de stabilité financière
(FESF), fin septembre, avait forcé le gouvernement à hausser le ton, à
définir sa stratégie et à l’expliquer. On avait l’impression qu’Angela
Merkel et son ministre des Finances Wolfgang Schaüble avaient repris
l’initiative. Ils étaient d’accord pour adopter des mesures d’urgence
(l’aide à la Grèce, le sauvetage des banques), des mesures à moyen terme
(l’adoption de règles plus contraignantes et de sanctions) et d’autres à
plus long terme, consistant à aller vers davantage de fédéralisme
fiscal.
A condition que le changement de traité que ce dernier point
impliquerait soit accompagné de davantage de contrôle. On avait
l’impression qu’enfin l’Allemagne avait fixé un cap, qu’elle était plus
proactive dans la recherche de solutions et qu’il y avait davantage de
convergence avec la France.
Que se passe-t-il, alors, aujourd’hui ?
Désormais, il y a des divergences de vue sur l’hypothèse d’une
réduction de 50% des créances détenues par les banques envers la Grèce,
pour soulager le pays. Cela gêne la France, car du coup, beaucoup
d’investisseurs privés vont perdre de l’argent, or les banques
françaises sont très exposées. Autre point de friction : la France
voudrait pouvoir avoir recours au FESF pour recapitaliser les banques.
Elle s’oppose sur ce point à un "nein" allemand, qui ne veut pas que le
FESF soit habilité à émettre de l’argent.
Comprenez-vous pour autant pourquoi les deux pays n’arrivent
pas à se mettre d’accord, alors qu’il y a urgence à trouver un compromis
?
Pas vraiment. Lorsqu’il s’est rendu à Francfort mercredi soir,
Nicolas Sarkozy voulait peut-être obtenir quelque chose d’Angela Merkel.
Et elle a dû lui dire non. Les choses se crispent à nouveau, nous
sommes dans le bras de fer. J’ai du mal à le comprendre, car sur le
fond, il y a une convergence de vues sur ce qu’il faut faire. Peut-être
que ce nouveau blocage s’explique par le fait que les deux gouvernements
se trouvent le dos au mur. Nicolas Sarkozy est acculé par la menace de
la perte du triple A de la France. La situation financière française est
très fragilisée.
Peut-être qu’Angela Merkel lui a dit qu’il fallait que la France
fasse des efforts supplémentaires. Or, en période électorale, c’est
difficile. Angela Merkel, elle, est plutôt sous la pression des
parlementaires : lors du vote sur le FESF au Bundestag, ils lui ont
clairement fait comprendre qu’ils n’iraient pas plus loin. Trouver un
compromis n’est pas facile, car ce sont des questions qui touchent le
cœur de nos modèles financiers et économiques.
Les gouvernements se sentent tributaires des opinions publiques,
d’électorats dont les intérêts ne convergent pas forcément. Il y a
peut-être un peu de mise en scène dans ce qui se passe ces jours-ci, une
partie de poker destinée à arracher des concessions et à sauver la face
vis-à-vis des électorats. Mais il reste une part d’inconnu que j’ai du
mal à cerner.
Restez-vous optimiste, tout de même ?
Bien sûr. Des couacs, on en a vu d’autres. On a toujours fini par
trouver un terrain d’entente in extremis. Les Français et les Allemands
vont rechercher très activement une solution commune. Ils ne peuvent pas
se permettre un échec.
Le fait que le triple A français soit menacé ne remet-il pas en cause l’équilibre du tandem franco-allemand ?
Je ne pense pas. D’abord, parce que la France va tout faire pour
trouver une solution. Car la menace est aussi politique : le pays
perdrait une bonne partie de sa crédibilité vis-à-vis de ses partenaires
européens. Ensuite, parce que l’Allemagne n’a pas envie de voir la
France en difficulté. Elle a intérêt à ce qu’elle reste un partenaire
stable. Car si la France coule, l’Allemagne coulera aussi, ce sera juste
un peu plus tard. Nous sommes dans le même bateau. C’est pour cela
qu’Angela Merkel a sans doute demandé des efforts à la France. On ne
peut pas reprocher à la chancelière d’être anti-européenne. Simplement,
être pour une solution européenne ne veut pas dire avaler celle que la
France impose. Elle veut y mettre sa sauce.
[b]Propos recueillis par Coralie Schaub