Bouzar : «Stop au double discours sur la laïcité !»
L’islam est trop souvent considéré en France comme une référence
étrangère, estime l’anthropologue Dounia Bouzar, qui interviendra le 19
novembre aux Assises nationales de la diversité culturelle.
Le président de la République a récemment déclaré
: « Je ne veux pas d’une société dans laquelle les communautés
coexistent les unes à côté des autres. Si on vient en France, on accepte
de se fondre dans une seule communauté, la communauté nationale. Si on
n’accepte pas cela, on ne vient pas en France », pour ensuite demander
un débat sur « les limites que nous mettons à l’islam »…
Pourtant,
la diversité religieuse n’a rien à voir avec le communautarisme, ni
même avec le multiculturalisme, sauf à considérer que l’islam
déterminerait une fois pour toutes les individus, de manière uniforme.
Or c’est exactement le contraire
: l’islam ne détermine pas les individus. Ce sont les individus qui
déterminent la compréhension de leur religion à partir de ce qu’ils sont
et de ce qu’ils vivent… Je rappelle une évidence : on ne rencontre
jamais des cultures ou des religions, mais toujours des individus qui
s’approprient des éléments de culture et de religion qui sont eux-mêmes
en perpétuelle mutation et interaction.
Et certains discours politiques
ne semblent toujours pas avoir compris que l’on peut être à la fois de
culture française et de confession musulmane, comme l’on peut être de
culture française et bouddhiste…
À partir de quand est-on différent ?
À partir de quand est-on similaire ? Appréhender Mohamed comme « issu
de la diversité » alors qu’il a grandi avec Élisabeth et David depuis
l’école maternelle, qu’il écoute la même musique et regarde les mêmes
films, peut être aussi violent que de l’empêcher d’être musulman.
Transformer une petite différence en catégorie permet d’enfermer un
groupe d’individus dans une définition toute faite et de penser à leur
place.
La diversité religieuse, lorsqu’elle
est bien gérée, ne mène ni à l’assimilation ni au communautarisme ! La
laïcité a été instaurée pour que les Français puissent avoir un destin
commun ensemble, avec leurs identités multiples, qui peuvent d’ailleurs
évoluer.
Être de la religion du roi pour
être sujet du roi, c’est terminé ! Plus jamais une morale unique,
religieuse ou pas, ne pourra s’imposer. Laïque ne signifie pas « athée
». On peut être à la fois croyant pratiquant et laïque, si l’on n’impose
pas sa religion comme vision du monde supérieure. Dans la même logique,
on peut donc être athée et non laïque, si l’on considère que tous les
croyants sont forcément des retardés mentaux ou des névrosés…
Au lieu d’entériner les termes d’un débat
posé par Marine Le Pen dans l’objectif de creuser un peu plus la
présomption d’altérité autour de l’islam, il aurait été intéressant que
le chef de l’État rappelle à tous les élus leur responsabilité dans
l’application de l’égalité des cultes.
Car pour ne prendre qu’un exemple,
si Noël fait partie de la culture commune de tous les Français,
croyants ou pas, chrétiens ou musulmans, la demande de fêter l’Aïd «
tous ensemble », de manière culturelle, est vécue comme du
communautarisme incompatible avec la laïcité… Appréhender toute
initiative d’inclusion musulmane comme du communautarisme repose sur le
fait que l’islam est vécu comme une référence étrangère. Ce fameux «
nous » et « eux », jusqu’à quand ?
Il va falloir cesser le double discours sur la laïcité
et faire un choix : soit la France impose une vision du monde
(catholique ou athée) et abroge la loi de 1905 qui garantit à chacun sa
liberté de conscience tant qu’il n’entrave pas celle de son voisin ;
soit la France applique la loi de 1905 à tous de la même façon et cesse
de considérer la pratique musulmane comme la preuve du refus de
s’intégrer.
La cohésion nationale ne se décide pas
par des grands discours mais par l’expérience commune, la «
transpiration humaine partagée ». C’est pour cette raison que la grande
erreur à éviter, pour un pays qui veut rester fort, c’est bien de
segmenter ses citoyens en cautionnant des discriminations. Bien au
contraire, il faut penser à construire de l’unité en rassemblant toute
la diversité.